Genève : on vote aussi sur l'aménagement du territoire

L'ire de Malthus

Dans le copieux paquet de sujets soumis à la sagacité de nos votes le 9 février, il en est un, cantonal et genevois, qui passe à peu près inaperçu : celui sur la loi générale sur les zones de développement, attaquée par un référendum porté par les propriétaires de villas, soutenus par le MCG et l'UDC, les « vert'libéraux » -et plus curieusement par le Parti du travail. Le crime de la loi ? prévoir des densités minimales de construction dans les zones de développement sans toucher aux zones villas, forestière, agricoles, c'est-à-dire à la majorité du territoire cantonal. Elle est prudente, la loi, mais cette prudence ne l'a pas préservée de l'ire des milieux pour qui tout nouvel habitant est un habitant de trop. L'ire de Malthus contre le poids de la réalité, en somme.


Une loi qui n'est pas une réforme, mais qui, involontairement, en dit l'exigence

Genève n'arrive pas à loger sa propre population : Il lui manque déjà au moins 8000 logements et ce manque s'accroît chaque année de 1500 logements supplémentaires, puisqu'on n'en construit qu'un millier au lieu des 2500 qu'il faudrait pour maintenir la situation en son état (extrêmement tendu) actuel, dans un canton en croissance démographique continue, qui exporte dans le canton de Vaud et en France la population qu'il n'arrive pas à loger : 16'500 ressortissants suisses venus de Genève sont déjà installés en France voisine, sans compter ceux (ils seraient 20'000) qui s'y sont installés en faisant passer leur résidence principale réelle pour une résidence secondaire. Dans ces conditions, chaque mètre carré de terrain non construit à Genève pour du logement prend une importance considérable : les 50'000 logements projetés en vingt ans par le plan directeur cantonal, il va bien falloir les construire quelque part; or la commune-centre, Ville de Genève, déjà surdensifiée, ne peut guère faire plus que ce qu'elle fait actuellement (accueillir un millier d'habitants supplémentaires  chaque année), à moins de répéter l'opération de 1930, c'est-à-dire fusionner la Ville et les communes urbaines adjacentes, ce qui relèverait du bon sens puisqu'il y a continuité du domaine bâti et que cela étendrait la surface encore constructible de la commune-centre, mais ce qui se heurte, pour user d'un prudent euphémisme, à de fortes résistances, puisque cela renforcerait le poids politique de la Ville... Faute de cet élargissement du territoire de la commune-centre, c'est bien ailleurs qu'il va falloir les implanter, ces 50'000 logements. Et « ailleurs », cela veut dire dans la zone de développement puisqu'on n'ose pas déclasser les zones villas que l'on pourrait aussi prudemment densifier, ni les zones agricoles que l'on pourrait pourtant partiellement déclasser.

Le projet de loi soumis au vote du 9 février ne menace donc nullement de « bétonner » les zones villas et les zones agricoles -au contraire, il contribue à les préserver dans la mesure où la densification minimale proposée par la loi (un indice de densité, mesurant la surface de plancher et la surface du périmètre, de 2,5 au centre-ville et de 1,8 à la périphérie) ne s'applique qu'aux zones de développement. Pourtant, dans la seule zone agricole, l'association des agriculteurs genevois (Agri-Gnève) et l'Etat ont recensé 17 parcelles bordées de constructions existantes, dispersées dans tout le canton, et pouvant accueillir 1500 logements.
Seul le quart du territoire cantonal genevois est voué à l'habitat. Malgré cela, le canton, avec 1639 habitants au kilomètre carré, est le deuxième plus densément peuplé de Suisse, derrière Bâle-Ville. Le « zonage » de cet espace urbain (car tout l'espace genevois est un espace socialement urbain) est un héritage des années cinquante : une ville très dense entourée d'une couronne suburbaine moins densément peuplée, d'une zone villas gaspilleuse d'espace et d'une pseudo-campagne faiblement peuplée, mais dont la quasi totalité de la population adulte vit, professionnellement et socialement (loisirs, culture, consommation) « en ville » même lorsqu'elle habite « à la campagne ».
Il faudrait faire sauter les zones villas et agricole, mais on n'en est de loin pas là : la loi proposée ne remet pas en cause le principe du zonage, pourtant obsolète (il est vieux de soixante ans, et Genève a quelque peu changé, en trois générations...), elle ne plafonne pas la densité, alors que dans certains quartiers elle est déjà excessive, et ne propose de densifier que la zone déjà vouée à l'être -la zone de développement. C'est encore trop pour ceux que l'hypothèse d'une Genève de 600'000 habitants en 2030 terrifie, alors que ces 600'000 habitants, Genève les abritera bien avant le terme perçu comme l'apocalypse par ceux qui veulent bien admettre que Genève soit une ville depuis 2000 ans, mais pas qu'elle soit habitée demain par d'autre qu'eux et leurs proches.

Rien que pour renvoyer ces sam'suffistes à la compréhension de la réalité, il convient, malgré ses prudences, de voter le projet de loi sur les zones de développement : il ne réforme pas l'aménagement du territoire, mais, sans le vouloir, il en dit l'exigence.
Même à ceux qui ne veulent pas l'entendre.

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