Aux marche du Palais : Saynette socialiste

La corpo et le demos

Posons le décor : une salle de réunion pleine. Au fond, en rangs serrés, la corpo. Devant, en rangs presque aussi serrés, le démos. La corpo, un peu plus nombreuse que le demos, va gagner un vote : le PS ne soutiendra pas le candidat de la gauche à l'élection du Procureur Général de Genève. C'était après plusieurs jours d'affrontements entre détenus, et entre détenus et gardiens, à Champ-Dollon. On en était à 35 blessés. Et la corpo chantait les louanges de celui qui, ayant rempli la prison au triple de sa capacité, niait toute responsabilité dans ses soubresauts, et déclarait qu'il n'allait pas se « renier » et « remettre des détenus dans la rue », lors même que la moitié des détenus de Champ-Dollon n'ont rien, ou plus rien, à y faire.


Se dire de gauche ne devrait pas empêcher de l'être...

On élira le Procureur Général de Genève, dans deux semaines. La corpo ne voulait pas de cette élection, le démos en voulait. L'élection acquise, la corpo ne voulait pas d'un candidat de gauche, le démos en voulait. La candidature de gauche acquise, la corpo ne voulait pas que son parti le soutienne, le démos le voulait. Et le soutenait. Ne restait plus à la corpo qu'à soutenir le candidat de droite sans oser le faire ouvertement, mais en démolissant le candidat de gauche. En s'attaquant à lui personnellement, tout en proclamant le trouver fort sympathique. Au demeurant. Mais au demeurant le plus loin possible du Palais. Exercice réussi : soutenu par le demos socialiste, le candidat de gauche ne le sera pas par le Parti socialiste. Si le PS voulait s'engager dans un concours de connerie avec la gauche de la gauche d'au fond à gauche, il a réussi. Il ne partait peut-être pas gagnant dans ce concours, mais il y a désormais toutes ses chances.

Après les affrontements entre détenus et entre détenus et gardiens à Champ-Dollon, une partie de la droite du parlement s'est réveillée plus vite que la gauche du Palais : deux députés PDC demandent au Conseil d'Etat des explications et des informations sur la nature de la surpopulation de la prison. L'un, Jean-Luc Forni a déposé une motion invitant le gouvernement à présenter un rapport indiquant quelle proportion de détenus « doit impérativement rester incarcérée », combien pourraient bénéficier des arrêts domiciliaires avec bracelet électronique ou être transférés dans d'autres établissements en Suisse. L'autre, Bertrand Buchs, requiert dans une interpellation des « statistiques crédibles et exactes » sur la base desquelles pouvoir faire son travail de député, veut savoir si Genève ne garderait pas « trop longtemps des personnes en préventive par rapport au reste de la Suisse » (la réponse est : oui...). Et s'il n'y aurait pas d'autres solutions pour réduire la surpopulation carcérale que la construction de nouvelles prisons. On salue ce réveil de la conscience critique à droite.  Cela fait des années qu'on dit ici que la politique carcérale genevoise tient à la fois de l'aveuglement, de la bêtise et du délire, ce qui fait beaucoup, mais les questions qu'on commence, enfin, à se poser au Grand Conseil, un candidat au poste de Procureur Général se fait traiter d'irresponsable par des magistrats socialistes et verts quand il les pose ...

Genève (et son procureur Général) a été désavouée par le Tribunal fédéral qui considère les conditions de détention régnant à Champ-Dollon comme illégales au regard du droit en vigueur. Qu'en conclure ? Qu'un Etat qui ne respecte pas son propre droit perd toute légitimité à l'exiger de qui que ce soit, et que des magistrats ou des avocats qui acceptent cette situation perdent  toute légitimité à se revendiquer d'autre chose que du douteux honneur d'être les instruments d'une politique dont le résultat, à Genève, aujourd'hui, est une prison surpeuplée, dont la moitié des pensionnaires n'ont rien à y faire, sinon s'y affronter physiquement. C'est sans doute à cela que doit se mesurer la «  compétence » du Procureur Général en place, si hautement proclamée par la corpo : en une seule semaine, deux baffes reçues du Tribunal fédéral et 35 blessés dans une prison bourrée de détenus pour rassurer l'opinion publique. A ce niveau de « compétence », on va regretter le prédécesseur de Jornot : lui, au moins, personne ne tentait de le faire passer pour le phénix des hôtes du Palais.

Le 13 avril, vous pourrez voter pour un candidat de gauche au poste de Procureur Général de Genève. Il s'appelle Pierre Bayenet, le candidat de gauche. Il ne figure pas sur une liste du parti socialiste,  mais tout de même sur une liste socialiste (la liste N° 6), et sur cinq autres. Après tout, même si la corpo peut gagner un vote, le demos n'est pas tenu de le prendre pour autre chose que ce qu'il fut : un moment d'absence politique.
Se dire de gauche ne devrait pas empêcher de l'être.

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