Elections municipales françaises : La coup-de-pied-au-cul-thérapie

Ce que le droit, la pédagogie, les bons conseils des spécialistes et l'air du temps proscrivent désormais proscrit d'appliquer aux enfants est toujours en usage politique : le baffe, la fessée, la correction -bref, la coup-de-pied-au-cul-thérapie. Dimanche dernier, c'est au PS que cette thérapie a été appliquée par les électrices et les électeurs français, appelés aux urnes (mais les désertant dans une proportion inhabituelle) pour renouveler leurs conseils municipaux (qui élisent les maires). Et l'instrument de la thérapie, ce fut le vote pour le Front National, qui pour la première fois peut se maintenir dans 229 villes au second tour en ayant obtenu plus de 10 % des suffrages, en arrivant en tête dans nombre d'entre elles, devant le PS (ou l'UMP, droite dite "républicaine", mais qui refuse le "pacte républicain" de désistement au profit du candidat le mieux placé pour battre le FN). Dans les villes de plus de 10'000 habitants, la droite recueille 46 % des suffrages, l'extrême-droite 9 %, la gauche 41 % (avec le Front de Gauche) et l'extrême-gauche 1,3 %. Motif de la sanction infligée au PS (et du cadeau fait au FN ? Exprimer le plus clairement possible un désaveu (pour user d'un euphémisme) du gouvernement et du président socialistes. En votant. faute d'alternative, pour l'extrême-droite ? Oui, même en se bouchant le nez.

"Douce France, cher pays de mon enfance, bercé de tant d'insouciance..."

La France (monarchique, libérale,  révolutionnaire, bonapartiste, radesoque, démo-chrétienne, gaulliste, communiste, gauchiste, socialiste...) a inventé la politique moderne, celle qui voit s'opposer une gauche et une droite, et à l'intérieur de la gauche une gauche réformiste et une gauche révolutionnaire, et à l'intérieur de la droite une droite conservatrice et une droite réactionnaire (ou contre-réformiste). Cette politique moderne, la France d'aujourd'hui semble la vomir. La faute à ceux, de gauche ou de droite qui, faisant métier de la politique, en oublient non les règles de fonctionnement, mais les principes de légitimité. A commencer par celui d'un minimum de fidélité aux promesses faites pour se faire élire, et d'un minimum de cohérence, et de volontarisme, dans l'action politique.
Un-e Français-e sur trois s'était abstenu aux Municipales de 2008, deux sur cinq l'ont fait dimanche dernier, en moyenne nationale, et plus encore chez les jeunes et dans l'électorat « populaire » Un taux de participation de 50 %, en Suisse, cela tient du record. En France, c'est une gifle sonore pour tous ceux et toutes celles qui sollicitaient les suffrages des citoyennes et des citoyens. Mais surtout, pour celles et ceux qui les sollicitaient en tant que candidates et candidats de gauche. Car abstention ou pas, le Front National est devenu le troisième force politique française, derrière les socialistes et la droite démocratique.. Rien ne dit qu'il le restera, mais rien non plus ne l'exclut : il s'est implanté là où il ne l'était pas, et souvent sur de vieilles terres de gauche, et s'est encore renforcé là où il était déjà fort. A gauche, les candidats de la majorité gouvernementale reculent partout, et parfois brutalement, comme à Marseille, sans que la gauche d'opposition ait été capable de récupérer leur électorat perdu. Quant à la droite démocratique (UMP, Modem), elle progresse, sans raz-de-marée, mais en profitant largement du recul du PS, et du discrédit qui frappe le parti, le gouvernement et le président de la République -à qui le résultat de dimanche devrait rappeler qu'il a moins été élu pour lui-même que pour se débarrasser de Sarkozy.

Les réformes « sociétales », si importantes soient-elles, ne peuvent remplacer les réformes sociales, ni le discours éthique (surtout si on peine à en voir la traduction concrète) l'ancrage et l'instinct de classe. De classe ? Eh oui, de classe. Un vieux mot qu'on avait bien eu tort devouloir remiser dans le grand magasin des vocables obsolètes. Avec les classes sociales elles-mêmes.  Le « mariage pour tous », c'est fort bien, et il fallait le faire. Comme il fallait en son temps faire le droit au divorce.  Mais ça ne remplace pas la lutte contre les licenciements, les délocalisations, les bas salaires, les discriminations matériellles -bref, les inégalités sociales. Les réformes « sociétales », la gauche n'a pas à y renoncer -mais elle a encore moins à cultiver l'illusion qu'elles suffisent à la légitimer (une bonne partie de la droite libérale, au vrai sens de ce terme, y est aussi favorable) et à compenser la perte de l'enracinement de classe. Les audaces de nos programmes culturels ne peuvent faire oublier les prudences de nos programmes sociaux et économiques.
En Avignon, le directeur du festival international de théâtre, Olivier Py, annonce qu'il partira (lui, en tout cas, voire le festival tout entier) si le candidat du Front National l'emporte au second tour, tant sont incompatibles les valeurs de l'un et celles de l'autre. C'est juste, c'est cohérent, c'est mobilisateur : les héritiers de Jean Vilar n'ont rien à faire avec ceux de Philippe Pétain. Mais si juste, cohérent et mobilisateur que ce soit, ce n'est qu'une réponse immédiate, un acte de résistance symboliquement fort, mais en lui-même sans perspective de reconquête du terrain politique et social perdu : ce n'est pas le public et les acteurs du festival d'Avignon qui ont voté pour le Front National, ce sont ceux qui ne vont jamais au théâtre.

Le Front National est devenu le premier parti ouvrier de France, pas le premier parti universitaire, et si les gueux votent pour des margoulins, en France comme à Genève, ce ne sont pas les gueux qui trahissent la gauche, ce sont ceux qui les abandonnent à l'extrême-droite, pour un plat de lentilles institutionnelles.

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