Exportation de matériel (suisse) de guerre (étrangère) : Business as usual

Par 93 voix contre 92 (si des socialistes ou des verts étaient absents, on leur en veut...)  le Conseil national s'est prononcé, après le Conseil des Etats, en faveur d'un assouplissement de la loi régissant les exportations de matériel de guerre. Une loi qui, si on s'en tenait à sa lettre, serait l'une des plus restrictives du monde. La réalité, cependant, est plus ambigüe : lorsqu'il y a contradiction entre les principes de la politique étrangère de la Suisse et les intérêts économiques, c'est le gouvernement qui tranche. Et le plus souvent,en faveur de l'exportation de matériel de guerre, non du respect de la politique suisse de coopération au développement, de soutien à la résolution pacifique des conflits et au respect des droits humains. En outre, tout ce qui est réellement matériel de guerre n'est pas légalement considéré comme tel (ainsi des avions d'entraînement et du matériel de transmission), et en 2012, la Suisse a réellement exporté quatre fois plus de matériel à usage militaire qu'elle n'admet avoir exporté de matériel de guerre...

A Alep, une grenade suisse dans la poche arrière du pantalon...

Fin 2008, le Conseil fédéral renforçait, pour contrer une initiative demandant l'interdiction pure et simple d'exporter du matériel de guerre, les dispositions de l'Ordonnance sur le matériel de guerre  limitant les possibilités de telles exportations et les excluant pour les pays les plus pauvres et ceux violant «  gravement et systématiquement » les droits humains. Quatre ans plus tard, le Conseil des Etats adoptait une motion chargeant le même gouvernement de « lutter contre la discrimination dont est victime l'industrie suisse de la sécurité et de l'armement sur la plan international ». C'est cette demande que le Conseil National vient de ratifier. En clair : c'est bien beau, les grands principes, mais ça nous empêche de vendre ce qu'on veut à qui on veut alors que les autres se l'autorisent. L'ordonnance exclut actuellement toute exportation de matériel de guerre vers des pays impliqués «dans un conflit armé interne ou international » ? il suffit de rajouter l'adverbe « illégalement » après « impliqué », pour permettre de vendre des armes aux pays impliqués par exemple dans le conflit afghan, supposé être « légal » puisque relevant, pour l'une de ses parties (on ne va pas vendre des armes aux Talibans -enfin, pas directement, mais sait-on vers où elles partent illégalement après qu'on les ait vendues légalement ?) d'un mandat de l'ONU...

Grâce à la voix prépondérante du président du Conseil National, et malgré l'opposition de la gauche et du centre (le PLR et l'UDC ayant quant à eux voté comme un seul homme de troupe) l'ordonnance sur le matériel de guerre sera donc assouplie, et la Suisse pourra exporter plus facilement ses armes à l'étranger. Y compris dans des Etats qui en font usage non seulement contre l'Etat voisin, mais, le cas échant (et il n'est pas rare qu'il échoie) contre leur propre peuple. L'important, de toute façon, n'était pas là, pour les partisans de la libéralisation de ce commerce crapuleux : usant de tous les arguments possibles et imaginables (y compris celui des places de travail), ils se sont finalement contentés de cette piètre excuse : restreindre les possibilités de vendre des armes à des Etats qui s'en servent « ne ramènerait pas la paix dans le monde, mais signifierait une perte de savoir-faire en Suisse », pour reprendre les fortes paroles de l'UDC Clottu. Evidemment, face à une argumentation d'une telle force, l'appel de la gauche à faire primer  les aspects éthiques sur les intérêts économiques. n'avait plus guère de poids, même lorsqu'il était rappelé par le socialiste jurassien Pierre-Alain Fridez que des munitions suisses avaient été utilisées à Kiev contre les manifestants de la place Maïdan -manifestants dont les partisans de l'exportation d'armes et de munitions n'hésiteront cependant pas, par ailleurs, mais loin ailleurs, à chanter les louanges. Amnesty International Suisse estime scandaleux que les intérêts économiques passent avant les droits humains et considère que la Suisse « met sa réputation en jeu » ? Bah, au point où elle en est...  Le Groupe pour une Suisse sans armée (GSsA) déplore que «le Parlement place le profit au-dessus des vies humaines » ? Bah, les victimes des armes suisses exportées, après tout, ne sont (sauf accident malencontreux) que des victimes étrangères...
Ainsi, fin mai dernier, Le Temps nous annonçait que des grenades offensives suisses, fabriquées par l'entreprise publique Ruag, se vendaient 70 dollars pièce sur le marché noir d'Alep, en Syrie, contrôlé par les insurgés anti-Assad, et qu'elles se trouvaient entre les mains des djihadistes de Jabhat al Nosra, dobnt le chef a fait allégeance à Al Qaïda. Ces grenades sont similaires à celles déjà découvertes dans les mêmes mains il y a un an, et qui provenaient d'un stock vendu aux Emirats Arabes Unis. « A Alep, certains se promenaient avec une grenade suisse dans la poche arrière de leur pantalon », témoignait un photographe genevois revenant d'un reportage dans la région. Bon, et alors ? Cette confiance dans la fiabilité du matériel suisse pour aider au massacre des bougnoules par des métèques devrait nous remplir de fierté, non ?

Ben non.

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