Peine de mort : Du trash, sinon rien !


   

L'exécution ratée d'un condamné à mort, après plusieurs sinistres épisodes du même genre, a fait scandale aux Etats-Unis. Qu'on ne s'y trompe pas : c'est le ratage de l'exécution qui a scandalisé, pas la sentence de mort elle-même. Et donc pas la peine de mort en soi. Seulement la foirade de sa matérialisation. Fin avril, dans l'Oklahoma,  Clayton Lockett a mis trois quart d'heure à agoniser après l'injection du cocktail de poisons devant le tuer (bricolé sur place, le cocktail, et jamais testé -comment, et sur qui, aurait-on pu d'ailleurs le tester ? sur le procureur ayant requis la peine de mort ?) . Les médecins avaient prévenu : votre mélange est une vraie saloperie pour un vrai supplice. Le président Obama a chargé le Procureur Général d'enquêter sur l'application de la peine de mort. Pas sur son utilité, ou sa légitimité : sur son application. Parce que le précepte « c'est un sale boulot, on n'a qu'une excuse, c'est qu'on le fait salement », ça ne lui suffit pas, à Obama. Il veut juste savoir pourquoi on ne peut pas le faire plus proprement. Ce qui suggère qu'on puisse, précisément, commettre proprement l'homicide légal.

 «  Montre-moi un homme qui soit bon  » (Lautréamont)

Trente-deux des cinquante Etats des USA pratiquent encore la peine de mort, par injection létale -voire, pour onze d'entre eux, par électrocution, fusillade ou pendaison, comme solutions de rechange (autorisées par le Sénat), la décapitation, le bûcher, la noyade et autres festivités judiciaires ayant été remisées au musée des nostalgies vindicatives, et la balle dans la nuque dans le couloir de la prison étant plus une tradition stalinienne qu'un souvenir américain. Donc, on injecte du poison. C'est pas plus moderne, mais c'est moins salissant. Du moins quand on a sous la main le poison idoine, et qu'on a pas besoin de le fabriquer en mélangeant les saloperies disponibles (puis en promulguant une loi interdisant de rendre la recette publique). Or ils ont un gros problème, les Etats américains qui pratiquent la peine de mort, c'est qu'ils sont en manque de thiopental de sodium, substance létale la plus utilisée habituellement pour homicider les détenus des couloirs de la mort. Ils ne manquent pas de bourreaux, ni (du moins pas encore) de soutiens dans l'opinion publique pour continuer à suivre l'exemple enthousiasmant des trois grands pratiquants de la peine de mort, la Chine, l'Iran et l'Arabie Saoudite, ils manquent seulement de poison. Parce que leurs fournisseurs (dont des pharmas suisses), inquiets pour leur image de marque, refusent désormais de leur en livrer.

Bref, on patauge dans l'hypocrisie et l'hygiénisme. On s'accroche à la peine de mort comme des vautours à leur charogne, mais on la veut pimpante, fraîche et propre, et discrète, et on se scandalise quand elle apparaît pour ce qu'elle est. Alors quoi ? On ne croit plus à l'« exemplarité » de la peine de mort, à l'« effet dissuasif » qu'on lui prêtait, à la légitimité de la loi du talion ? Il convient, n'en doutons pas, de mettre fin à cette hypocrisie consistant à vouloir maintenir la peine de mort sans qu'elle se donne en spectacle. Sans qu'on la voie. La peine de mort sans faire de la peine aux vivants, en somme.
Alors, réagissons : foin de ces exécutions en catimini, à l'aube, dans la cour d'une prison ou une pièce aseptisée  : la mise à mort doit être publique et en place publique, retransmise en direct à la télé et sur internet, avec des gros plans sur la lame de la guillotine coupant le condamné en deux, sur le noeud coulant ou le garrot l'étranglant (le plus lentement possible, faut faire durer le plaisir). Et puis, pas de bourreau chargé de la besogne : l'exécution doit être le fait de ceux, juges et jurés, qui ont prononcé la condamnation à mort. Faut assumer, quoi. Et si on s'aperçoit que le condamné exécuté était finalement innocent (eh oui, ça arrive, la justice humaine, à supposer qu'il y en ait une autre, n'est pas infaillible...), qu'on ne peut pas le ressusciter et qu'on a donc, en l'exécutant, commis non seulement un homicide, mais carrément un assassinat prémédité, eh bien, comme on est cohérent, on condamne et on exécute les condamnateurs et les exécuteurs. Pour meurtre. Imparable logique, mouvement perpétuel. Ainsi les spectateurs, après les jurés, les juges, les procureurs, auront-ils franchi le dernier pas les amenant vers le condamné -le pas qui les amène à ressembler trait pour trait, instinct pour instinct, destin pour destin, à l'assassin supposé dont ils décident ou applaudissent l'assassinat. Parce que c'est quand même un peu facile de déléguer à des bourreaux les basses oeuvres dont on est auteurs. Comme si on en avait honte et que cette honte somnolait quelque part dans le cerveau reptilien, entre l'instinct de conservation et l'instinct de reproduction, juste à côté de la vengeance...

Voilà, c'était notre contribution humaniste et pragmatique au débat sur la peine de mort. Y'a des jours, comme ça, on se sent une âme disponible et bénévolente. Prêt aux bons offices.
Suisse, quoi.

Commentaires

Articles les plus consultés