Les cocos ont volé le drapeau du pape...


Il y a trois semaines, le pape François portait plainte: «Les communistes nous ont volé notre drapeau, le drapeau de la pauvreté est chrétien»... Calme-toi mon François... D’abord, le drapeau des communistes (tant qu’ils ne sont pas au pouvoir) n’est pas le drapeau de la pauvreté, mais celui de la révolte contre la pauvreté. Et s’il est vrai que les chrétiens aiment les pauvres, l’objet de cet amour évangélique est plutôt les pauvres qui restent à leur place, les pauvres reconnaissants des aumônes – pas les pauvres qui s’insurgent.



Au fond, de qui parle le pape quand il parle des «communistes»? Sa petite phrase au Messagero va au moins nous être utile à quelque chose: remettre à la bonne heure nos vieilles pendules idéologiques.
La chute de l’Union soviétique, de ce point de vue, éclaire singulièrement notre paysage politique et intellectuel: on peut (re)lire Marx sans se retrouver dans le même camp que les professeurs de diamat stalinien, (re)lire Bakounine sans se retrouver dans la même cellule que l’assassin de Sissi, (re)lire Rousseau sans se retrouver siégeant au Comité de salut public.


Ni l’analyse du capitalisme, ni la volonté de l’abattre ne sont réductibles au marxisme: et l’exigence anticapitaliste est plus présente chez les anarchistes, et n’est pas moins forte chez les socialistes chrétiens, que chez les «communistes». Marx est anticapitaliste, mais Lamennais aussi, et Bakounine plus encore...
L’anticapitalisme n’est pas le socialisme: dans l’appel à «résister» à la mondialisation capitaliste, il nous semble qu’il entre aujourd’hui plus de Proudhon que de Marx, plus de conservatisme, de corporatisme, de fétichisme étatique, que de volonté de changement. Marx n’appelait pas à «résister» à la marche du capitalisme, mais à la faire sortir de ses rails et de ses limites; il n’appelait pas à la défense de l’Etat-Nation, mais applaudissait la force révolutionnaire qui, après l’avoir édifié, menaçait de le mettre à bas. Marx est un critique du capitalisme, mais un critique admiratif, et un critique qui, animé d’un refus éthique absolu d’en admettre la légitimité, affirme que ce refus s’inscrit dans le prolongement du capitalisme, non dans le retour à des formes anciennes de rapports sociaux. Or dans le grand jeu de masques idéologiques auquel on joue depuis trente ans, l’on voit des masques «marxistes» défendre l’Etat-Nation comme rempart contre le capitalisme, la gauche révolutionnaire en appeler à la défense de l’Etat social (c’est-à-dire du capitalisme socialisé par la social-démocratie), des forces se proclamant «alternatives» proposer le capitalisme des années cinquante du XXe siècle comme alternative au capitalisme du XXIe siècle et une partie de la social-démocratie s’autoproclamer «moderniste» en se donnant pour programme celui de la Migros de Gottlieb Duttweiler: «le capital à but social».


Et puis, quel sens cela peut-il avoir pour des socialistes ou des communistes de combattre pour le maintien ici de conditions et de normes sociales dont la contrepartie reste l’exclusion de la majorité des habitants de la planète des droits les plus fondamentaux? Car s’il n’y a plus grand monde, dans ce pays, dont on puisse dire ce que Marx disait des prolétaires de son temps: «ils n’ont à perdre que leurs chaînes», des millions d’hommes et de femmes de par le monde n’ont toujours à perdre que leurs chaînes, quand la fameuse et improbable «classe moyenne» occidentale aux basques de laquelle court toute la gauche européenne a de toute évidence «quelque chose» à perdre à être solidaire des gueux.


Plus d’un siècle et demi après l’un de ses manifestes fondateurs, pour quoi combat la gauche («communistes» compris)? Pour la préservation des normes sociales petites-bourgeoises (à commencer par l’emploi et le salariat) et pour la défense des «bases nationales» de l’économie, quand Marx applaudissait haut et fort à leur destruction par la mondialisation. Ainsi nous sommes-nos réduits à défendre le «vieux monde» contre ce qui le menace.


Pour qui, et avec qui combattons-nous? «Prolétaires de tous les pays, unissez-vous!», leur enjoint le Manifeste. Mais où sont-ils passés, les prolétaires? Dans la fonction publique ou au RMI? Et de quelle couche sociale sont aujourd’hui représentatifs les héritiers de ceux qui parlaient autrefois en leur nom – puisque aussi bien, le prolétariat a toujours eu pour son malheur plus de porte-paroles que de droit à la parole?
Voilà, François: cette petite bulle n’était là que pour prendre prétexte de ta propre confusion pour tenter de dissiper un peu la nôtre, et relire le Manifeste du parti communiste, non comme on relit un programme ou comme on bégaie un catéchisme, mais pour la même raison que nous devons aussi relire le Discours de la servitude volontaire: pour nous souvenir de ce que nous voulions, comprendre pourquoi nous n’en avons rien obtenu, et reprendre le cheminement interrompu.
Amen.

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