Initiative pour une caisse-maladie publique : Le spectre de l'étatisation




Un spectre hante la campagne sur (et contre) l'initiative pour une caisse-maladie publique : le spectre de l'"étatisation du système de santé" qu'induirait l'adoption de initiative.Etrange spectre à la fonction de marionnette agitée par des milieux particulièrement bien représentés au parlement fédéral, dans ses couloirs, dans les commissions et lors des processus de consultation sur des sujets qui les concernent, fût-ce de loin. Ces anti-étatistes d'occasion ont fait leur nid dans l'Etat, y pondent leurs oeufs, les y couvent et y font éclore les projets qui leurs conviennent -en étouffant ceux qui ne leurs conviennent pas : des "antiétatistes" de ce calibre, le corporatisme en pondait une portée tous les matins.

Ni "arbitre impartial" ni monstre hideux : l'Etat social, un instrument. Rien qu'un instrument...

Alors, la caisse publique d'assurance-maladie, une étatisation du système ? Foutaise : Aucune assurance privée ne pourrait aujourd'hui survivre en Suisse si l'effort étatique dans le domaine de la santé était restreint à ce que de vrais "libéraux" pourraient supporter, et le système actuel, qui serait inchangé en cas de refus de la caisse unique, n'est pas moins étatisé que le serait la caisse unique : c'est l'Etat qui impose une obligation de s'assurer, exclut de pouvoir s'assurer auprès d'une caisse publique et oblige tout"consommateur" de soins à devenir client captif d'une caisse privée. En outre, si l'assuré ne paie pas sa cotisation à sa caisse privée, c'est encore l'Etat qui se charge de l'encaisser vie l'Office des Poursuites, et si l'assuré n'est pas en mesure de la payer c'est l'Etat la paie à sa place... D'ailleurs, pour tenter, au dernier moment, de contrer l’initiative pour une caisse publique, la droite du parlement fédéral (sauf l'UDC) s'est résignée à accepter (pour l'instant) un renforcement du contrôle des caisses-maladies... par l'Etat, en l’occurrence l'Office fédéral de la santé publique, avec la possibilité de ne pas valider des primes trop élevées, et d'en demander (mais non plus, comme dans le projet initial, d'y contraindre) au remboursement de celles, excessives, perçues en trop. Gageons cependant qu'en cas d'échec de l'initiative, cette conversion de la droite à des mécanismes de surveillance publique sera suivie assez rapidement d'une apostasie discrète, enterrant à la fois le projet et les illusions du camarade Berset sur la disponibilité de la majorité parlementaire à "réformer le système"... fût-ce aussi prudemment qu'il est aujourd'hui proposé, pour tenter de réduire quelques uns des effets pervers de ce système -effets pervers qu'une caisse publique supprimerait d'ailleurs totalement.

L'Etat, véritable vache à lait des caisses privées, n'est ni cet "arbitre impartial" célébré par Pierre-Yves Maillard dans "Le Temps", puisqu'il est le produit d'un ordre social déterminé, et qu'il est travaillé et déterminé par les rapports de force sociaux et politiques , ni le monstre hideux sorti de leur coffre à jouets par des "libéraux" qui seront les premiers à faire appel à lui pour réparer leurs conneries (ou faire régner leur ordre quand il est contesté) : l'Etat est un instrument. Rien qu'un instrument. Et tant qu'il est là, autant l'utiliser intelligemment, utilement, à concrétiser des droits fondamentaux. Celui à la santé, et aux soins, par exemple. Ce n'est ni par hasard, ni par complot, que l'Etat est le premier financier des hôpitaux...
Il n'est pas plus difficile de définir un droit à la santé que de définir un droit au travail, ou au logement, ou à l'information... la définition des maladies est objective, celle des soins aussi, le droit à la santé peut donc être défini comme un droit aux soins. Et comme dans une société marchande les soins sont une marchandise, l'accès matériel aux soins doit être matériellement garanti. La gratuité des soins y pourvoirait certes, mais elle suppose précisément que la santé ne soit plus une marchandise, et comme on en est très loin, on bricole des dispositifs permettant à ceux qui n'ont pas les ressources nécessaires pour accéder aux soins d'y accéder tout de même. Aucun de ces dispositifs n'est satisfaisant, mais ils sont inégalement insatisfaisants, et on choisit donc le moins insatisfaisant : ici, la coexistence d'une caisse publique pour les prestations de base et de caisses privées pour le surplus...
Car il ne s'agit que de cela : L'initiative représente une amélioration dans le sens de la simplification et de la cohérence : on ne peut pas à la fois proclamer le droit à la santé comme un droit fondamental, imposer par la loi l'affiliation à une caisse-maladie et exclure la possibilité de s'affilier à une caisse publique -l'initiative ne supprimant d'ailleurs pas les caisses privées et laissant à la "libre" concurrence (mettons "libre" entre guillemets puisqu'en fait, sur 61 caisses existantes, cinq constituent un oligopole) tout ce qui ne relève pas de la couverture obligatoire... Le raisonnement est simple : ce qui est obligatoire est public puisqu'imposé par la puissance publique, ce qui est facultatif est privé puisque relevant du "libre choix"...

Mais il faut croire que, même avec l'interdiction qui leur est faite d'en tirer bénéfice, l'assurance obligatoire est juteuse pour les assureurs, puisqu'il se sentent obligés de conjurer le spectre de l'étatisme et d'exorciser le Gosplan (quand ce n'est pas le carrément le goulag) pour réfréner la tentation des assurés de les priver de ce "pot de miel" (l'expression est du "Courrier", et elle est parlante) par lequel ces philanthropes attirent leurs clients captifs vers le très, très rentable marché des assurances complémentaires...
Le spectre de l'étatisation a décidément bon suaire et la vache à lait bon pis.

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