« La guerre contre la drogue a été un grave échec » : Post Tenebras Lux ?


    
« La guerre contre la drogue a été un grave échec », ont asséné début septembre les membres de la commission globale de politique en matière de drogues, parmi lesquelles et lesquels Ruth Dreifuss, Fernando Henrique Cardoso, Louise Arbour... Elles et ils plaident pour un changement radical, pour l'abandon du tout répressif au profit d'un contrôle public de la production, du commerce et de la consommation des drogues. Parce qu'un monde sans drogues est illusoire et que leur prohibition n'a que des effets négatifs, voire dévastateurs. Elle coûte 100 milliards de dollars par an, remplit les prisons, enrichit les mafias, dégrade les conditions sanitaires des populations concernées (au Moyen Orient, en Asie et en Russie, elle a favorisé le sida...). Elle tue plus que les drogues elles-mêmes, produit plus de criminalité que le trafic lui-même. Mais « on » s'y accroche encore. Pour combien de temps, combien de morts et combien de profits pour les réseaux criminels ?
           
La prohibition est l'opium de la prévention
     
La prohibition des drogues est à nouveau remise en question en Suisse, sous l'impulsion d'un groupe de travail genevois et de la commission consultative genevoise rattachée au département cantonal de la Santé et présidée par Ruth Dreifuss, Le projet issu de ce groupe de travail et sur lequel planche cette commission est celui de l'expérimentation d'un modèle de dépénalisation de l'usage du cannabis, par la création d'associations de consommateurs. Cette régularisation de l'usage de la principale drogue (hors l'alcool et les médicaments...) consommée en Suisse se ferait sous contrôle, avec des restrictions (les mineurs et les frontaliers n'y auraient pas accès, par exemple), mais pourrait être étendue, si son expérimentation en confirme les effets positifs attendus, à d'autres substances. Ruth Dreifuss en est convaincue : « il faut dépénaliser toutes les drogues », car leur prohibition créée infiniment plus de problèmes que leur consommation -elle coûte cher, est inefficace et enrichit au-delà de toute mesure les réseaux mafieux qui, précisément, vivent de la prohibition. Obstacle, rappelé par l'Office fédéral de la santé publique : la légalisation d'associations de consommateurs proposée par les Genevois n'est « pas compatible avec la loi sur les stupéfiants ». Mais une loi, ça se change..
Le projet sur lequel travaille le groupe genevois, qu'un postulat socialiste demande au Conseil fédéral de suivre et que soutiennent les villes de Zurich, Winterthur, Bâle, Bienne et Berne (mais pas Lausanne, quoique des soutiens s'y expriment au sein du Conseil communal...), est celui d'associations dont les membres cotiseraient pour se procurer une dizaine de grammes (par achat) de cannabis, pour leur propre consommation. Mineurs et frontaliers ne pourraient avoir accès au produit  La production serait centralisée et assurée par l'association ou un producteur agréé. Le bilan financier des associations devrait être neutre. Quant à la teneur en principe actif du cannabis « légalisé », elle serait fixée par l'Etat. Pour l'UDC, attachée aux toxicomanies traditionnelles et légales (à commencer par l'alcoolisme...), si prudent que soit le projet genevois, il va encore trop loin : elle a annoncé qu'elle lancerait un référendum si le Grand Conseil le soutenait. Chiche ? De toute façon, au parlement comme dans l'opinion publique, le débat contradictoire se fera -autant dès lors qu'il aboutisse à un vote populaire...

Comment réduire le marché noir des drogues ? Par la prohibition et la répression ? Absurde : ce marché vit de cette prohibition et de cette répression. Interdisez la consommation de caramels mous, vous aurez des dealers de caramels mous, une mafia du caramel mou et des caramels mous frelatés... Même le Conseiller d'Etat MCG Mauro Poggia reconnaît mezzo voce l'échec de la prohibition... Réfléchir à un mode de régulation n'est donc pas absurde, et le Conseil d'Etat « ne s'interdit pas de réfléchir ».
« Le plus grand danger (des drogues) ne se trouve pas dans la substance mais dans les conditions dans lesquelles elle est acquise et consommée » résume Ruth Dreifuss. En dépénalisant cette acquisition et cette consommation, en les contrôlant (sachant qu'on ne peut les contrôler qu'en les dépénalisant), il s'agit de réguler, pas de libéraliser. Il s'agit de traiter la consommation de cannabis, puis celle d'autres drogues, comme l'on traite l'alcool : on ne peut en vendre partout et à n'importe qui. Il s'agit de réduire le deal de rue et le marché noir, de contrôler la substance et d'encadrer les consommateurs.  La prohibition ne réduit pas la consommation, mais en aggrave les conditions, tout en détériorant la qualité du produit consommé, et en augmentant son prix. « La guerre contre la drogue a été un grave échec » : les mafias l'ont gagnée.

Avant de désintoxiquer les toxicomanes, c'est la politique à l'égard de la toxicomanie qu'il s'agit de sevrer de la répression, de l'hypocrisie et de l'illusion d'un « monde sans drogues », qui tuent plus que les drogues elles-mêmes.

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