Le Régent, la Grande Duchesse, le Commis et le militant (fable socialiste française)


De Mollet à Valls, retour à la casse départ


Sur l'air de la Grande Duchesse de Gerolstein aimant les militaires, Manuel Valls a entonné l'autre jour, devant les patrons français réunis en leur "Université d'été", "Moi, j'aime l'entreprise, j'aime l'entreprise". L'amour, ça ne se commande pas, ça a des déraisons que la raison ignore. Les patrons français ont ovationné debout le patron du gouvernement français, et leur président, Pierre Gattaz, a salué son "discours de lucidité, de pragmatisme, de clairvoyance, de courage". Pas moins. Et plus encore si entente : c'était " le discours dont on avait besoin" (qui cela, "on" ? Le patronat...), et il y aura "peut-être un avant et un après"... Un "avant" et un "après" quoi ? Le politologue Roland Cayrol diagnostique une "crise de leadership et des idées" au PS. Comme avant la prise d'assaut de la vieille SFIO par Mitterrand, en somme. Cela fait bientôt quarante-cinq ans... le temps de passer de Mollet à Valls, de la droite de la gauche à la gauche de la droite, à moins que cela soit l'inverse -eppur si muove...

         
"On ne va pas laisser le parti de Jaurès et de Blum à cette bande de libéraux"...

L'"Université d'été" du patronat n'a précédé que de quelques jours celle du Parti socialiste, dont la Grande Duchesse promue Premier ministre est désormais l'incarnation gouvernementale, secondée par un ministre de l'Economie tout frais sorti de la grande banque privée, l'un et l'autre chapeauté par un Régent arrivé au pouvoir parce que les Français voulaient se débarrasser de l'histrion frénétique qu'ils avaient précédemment installé à la présidence. Les Régents et les Grandes Duchesses ont besoin de grands commis. Celui qu'ils ont placé dans le fauteuil d'où Montebourg a été lourdé fera bien l'affaire pour traduire en actes les remises en cause des 35 heures, du Code du Travail, de l'encadrement des loyers et de leur "garantie universelle. Remises en cause (auxquelles les socialistes s'opposaient... quand ils étaient dans l'opposition à Sarkozy) qui pourraient se traduire par l'édiction, sans débat parlementaire, d'ordonnances que les syndicat condamneront sans pouvoir s'y opposer efficacement, dans le pays d'Europe où le taux de syndicalisation est le plus faible et où le principal syndicat compte moins de 700'000 membres, à peine plus que l'Union Syndicale Suisse et Travail Suisse réunis...

La Grande Duchesse et le Grand Commis sont membres d'un parti qui se qualifie (encore) de socialiste (encore que le commis n'y paie plus ses cotisations depuis cinq ans) et dont le Premier secrétaire, Jean-Christophe Cambadélis, assure dans "Le Monde" que "le social-libéralisme ne fait pas partie ni de notre vocabulaire, ni de notre tradition". Il est vrai qu'on le pratique sans l'assumer. Parce que l'assumer, ça fâcherait les militants et les électeurs qui croient encore voter pour un parti socialiste. Faut-il les dessiller ? Un partisan de Valls, le ministre Jean-Marie Le Guen, se satisfait de ce que le parti soit encore "très en deça. niveau libéralisme", du temps où Bernard Tapie était ministre de Mitterrand. On a les critères qu'on mérite... un autre partisan de Valls, le secrétaire d'Etat Thierry Mandon, joue sur les mots : "le gouvernement n'est pas libéral, il est pro-entreprises", et le nouveau ministre de l'Economie parle d'une "inflexion" qui "change des repères de la gauche sans pour autant être sur le terrain de la droite". Sur quel terrain, alors ?

"J'ai besoin d'un parti qui soit à l'unisson de ce que je propose", avait déclaré le Régent. Et si le parti avait, lui, besoin d'un gouvernement (et d'un président) à l'unisson de ce que doit défendre un parti socialiste (ou social-démocrate, comme on voudra, puisque le Régent et la Grande Duchesse sont aussi éloignés du socialisme que de la social-démocratie...) ? On en est bien en France dans cette situation ou seule la déréliction de la droite démocratique peut maintenir le PS à flot : à l'unisson de l'extrême-droite, plusieurs des porte-paroles de la droite -Boutin, Morano Wauquiez- se sont dit "horrifiés" par la nomination de Najat Vallaud-Belkacemm à l'Education national et ont lancé contre elle, comme avant elle contre Christiane Taubira, une campagne à la fois raciste et sexiste, non contre ses projets, mais parce qu'elle est femme et féministe, qu'elle n'a que 36 ans et qu'elle porte un nom arabe...

Le Premier Secrétaire du PS annonce des "Etats Généraux" où il sera question de l'"identité" du parti. Parce qu'il faut des "Etats Généraux" pour que les socialistes retrouvent une identité qui les distingue, non seulement des autres partis, mais, plus largement, des autres cultures politiques ? Cambadélis assure que "le PS ne fondera pas le social-libéralisme" : c'est en effet inutile, puisque cela a déjà été fait par Blair et Schroeder). Comme les députés signataires (certains à l'insu de leur plein gré) d'un "appel des 200" où ils affirment ne vouloir être "ni godillots ni déloyaux" (mais déloyaux à l'égard de qui ? de leur chef, qui les veut précisément "godillots" ou de leurs électeurs, qui les voudraient bien socialistes ?), le Premier secrétaire du PS nie qu'il y ait au sein de son parti "deux lignes irréconciliables qui s'affrontent". Ah bon ? Les "frondeurs" du PS, eux, répondent à leur manière, en baptisant leur courant "Vive la gauche"*. Manière de dire que les tenants de la ligne de Manuel Valls, à qui plus personne ne s'oppose au sein du gouvernement ("il y a une seule ligne et les membres du gouvernement ne peuvent pas se donner en spectacle", déclare Valls), ne défendent pas une ligne "de gauche", mais une ligne qui n'est dominante que parce que son incarnation est chef du gouvernement : quand il s'était agi en 2011, aux "primaires" socialistes, de choisir, en la personne d'un candidat à la présidence de la République, une ligne politique, Valls s'était retrouvé avec moins de 6 % des voix...

"Nous sommes des sociaux-démocrates à la française" assure le Premier secrétaire du PS. "Sociaux-démocrates", vraiment ? La social-démocratie s'est constituée à partir du marxisme, contre le socialisme libertaire, dans un lien privilégié avec les syndicats (au point que le parti a souvent été directement créé par les syndicats, comme leur instrument dans les institutions politiques), sur la revendication fondamentale de l'égalité, avec comme projet politique celui de l'application à l'économie des règles et des principes de la démocratie politique (le premier parti socialiste créé à Genève ne s'est pas baptisé par hasard "Parti de la République démocratique et sociale), en concevant l'Etat comme l'instrument privilégié du changement social et les nationalisations comme le moyen de mettre l'économie au service de la société... Si ce projet social-démocrate, projet de changement, non de modernisation ou d'adaptation, était, ou redevenait, celui des socialistes français, à commencer par le Régent, la Grande Duchesse et le Commis, ce serait un sacré virage à gauche...
Dans "Le Monde", un militant de la gauche du parti s'indigne : "On ne va pas laisser le parti de Jaurès et de Blum à cette bande de libéraux". Un militant du courant de la "Nouvelle voie socialiste" constate : "Tout est à reconstruire à la base", en formant les militants, en revivifiant la démocratie interne, en débattant... En effet : sans mémoire, sans culture politique et sans débat, un parti ne vaut rien. Surtout un parti socialiste...

Dans leur paquet de bienvenue à l'"Université d'été" du PS, à La Rochelle, les jeunes militants ont reçu des préservatifs. Pour baiser qui ?

Voir son manifeste sur : http://fr.scribd.com/doc/238149282/Appel-de-La-Rochelle



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