« Une certaine idée de l'armée suisse »



500 ans pour réfléchir, c'est assez ?

Ueli der Soldat se fait une certaine idée de l'armée suisse. Et il en a présenté au début du mois la facture budget stable :  (19,5 milliards sur quatre ans, le parlement en ayant demandé cinq par année) et volonté de renouveler la flotte d'avions de combat d'ici 2025, malgré le refus populaire de l'achat des « Gripen  » devant remplacer les F/A-18. Après ce refus le Conseil fédéral avait retranché 800 millions des ressources que le plan financier pour 2014 à 2016 affectait à l'armée. Du coup, le PLR, jamais à court d'une réaction intelligente, avait accusé le Conseil fédéral de « jouer le jeu » des antimilitaristes qui cherchent à « affaiblir l'armée », et le président du PDC, Christophe Darbellay, reproché au gouvernement une « concession faite à la gauche ». C'est cela, voui... L'année prochaine, on célébrera le 500ème anniversaire de la glorieuse défaite de Marignan. Qui mit fin aux vélléités, non pas de la Suisse qui n'existait pas encore en tant qu'Etat, mais à celles des Suisses en tant que bandes armées, d'aller envahir, puiller et rançonner les régions et les villes circonvoisines. 500 ans de réflexion, ça devrait suffire à un autre renoncement, non ?

Les Vieux Grenadiers, la Compagnie de 1602, l'armée suisse : on s'y attache, à ces vieilles choses...

En 1964, lors de l'« Affaire des Mirages », la Suisse entretenait l'armée la plus nombreuse d'Europe relativement à sa superficie et à sa population. « La Suisse est une armée », proclamait-on fièrement alors (proclamation redoublée quelque temps après par la publication d'un petit chef d’œuvre d'humour involontaire, le fameux petit livre rouge de la «  Défense civile »). Cette apologie militariste est certes passée de mode sous cette forme, mais pas la conviction des chefs de l'armée et de la majorité du Conseil fédéral qu'il faut à la Suisse une armée supérieure en effectifs à celles de ses voisins, proportionnellement à sa taille et à la leur.
Quant à la gauche, le programme du PSS lui enjoint certes de militer pour la suppression de l'armée, mais en attendant le parti reconnaît « la nécessité de conserver à l'armée son rôle centrale en matière de défense ». Cette contradiction est-elle contradiction de ligne politique, ou décalage des enjeux dans le temps, la suppression de l'armée pour le long, voire le très long terme (« un objectif idéal dans un monde idéal »), sa réduction au nécessaire pour le moyen terme ? Le PSS propose, pour l'heure, une armée de 50'000 hommes, un plafond budgétaire de 4,1 milliards pour son coût, son ouverture à la coopération internationale en matière de sécurité et son adaptation aux menaces et aux défis réels du moment, et à ceux prévisibles, plutôt qu'à ceux de la guerre froide. Missions de l'armée selon le PSS ? prévenir la guerre, assurer la paix, la promouvoir à l'étranger, défendre le pays, soutenir les autorités civiles dans les cas graves et de manière exceptionnelle. Et pour tout cela, la Suisse n'a pas besoin d'une armée de 100'000 hommes, transformée « en force de travail au service des cantons », exerçant des tâches de police auxiliaire ou de protection civile.
Or un projet du Conseil fédéral consiste précisément à modifier la loi pour permettre aux agents de la Sécurité Militaire de « fournir une aide spontanée » à la police civile et aux gardes-frontière « si ces derniers en font la demande ». Au-delà du concept curieux de « spontanéité sur demande », ce projet a de quoi inquiéter : ces policiers militaires seraient autorisés à traiter et à communiquer des données personnelles, contrairement au droit en vigueur, à faire usage de la contrainte sur des civils... et demain, à être engagés contre des manifestants ? C'est en tout cas ce que craint le Groupe pour une Suisse sans armée.

Bref, on reste dans un exercice connu, répétitif et, avouons-le, un peu lassant : celui auquel se livrent les chefs, les partisans, les nostalgiques d'une armée dont personne, pas même eux, ne sait plus très bien à quoi elle peut bien servir, et à laquelle on cherche à donner de nouvelles missions (et de nouveaux avions...) sans savoir précisément non plus lesquelles, mais en explorant tous les possibles à peu près présentables, y compris ceux qui ne relèvent pas de la fonction de «  défense nationale » à laquelle l'armée est tout de même supposée être affectée.
Les Suisses ont refusé d'abolir leur armée. Soit. Mais proposerait-on aux Genevois de dissoudre les Vieux Grenadiers ou la Compagnie de 1602, qu'ils le refuseraient aussi. C'est qu'on s'y attache, à ces vieilles choses. Pour autant, faut-il vraiment continuer à faire semblant de croire qu'elles sont indispensables à la survie de la République ou de la Confédération ?



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