Abolition des « forfaits fiscaux » : Les pompiers pyromanes à l'oeuvre


On a reçu le journal de campagne tous ménages (ça coûte bonbon mais ils en ont les moyens...) des partisans du maintien des forfaits fiscaux. Et ils ne font pas dans la dentelle : ils nous balancent que l'abolition de ces forfaits fiscaux, « conduirait à une perte d'impôts de plus de 1 milliard de francs » qu'il faudrait compenser par une imposition plus lourde de la « classe moyenne » (ah, la « classe moyenne », à quelle utilité n'est-elle pas bonne dans le débat politique...) et des PME (mais surtout pas des multinationales et des grosses entreprises nationales, hein). Il sort d'où, ce milliard qui manquerait ? De l'hypothèse absurde que tous les bénéficiaires de forfaits fiscaux quitteraient la Suisse s'ils n'en bénéficiaient plus. Et ce milliard, il équivaut à quel pourcentage des pertes fiscales accumulées au fil des cadeaux fiscaux accordés depuis des années par la droite qui défend les forfaits fiscaux ? On n'a pas fait le calcul pour l'ensemble de la Suisse, mais pour Genève, toujours dans l'hypothèse absurde où tous les bénéficiaires de forfaits fiscaux iraient voir ailleurs si la gauche n'y est pas, on sait : le fisc y perdrait 160 millions de francs par année. Soit, en moyenne annuelle, pas plus de la moitié (et sans doute beaucoup moins) des cadeaux fiscaux accordés par la droite depuis dix ans, et qui plombent le budget cantonal depuis dix ans. Y'a pas à dire, dans le genre pompiers pyromanes, ils sont pas mal, nos PLR, PDC, UDC et autres MCG...

Et c'est ainsi qu'à l'inégalité devant l'impôt s'ajoute l'inégalité devant la fraude...

Souvenez-vous de la campagne qui précéda l'adoption de l'initiative Minder sur la limitation des bonus des grands patrons de grandes sociétés : on nous prédisait que si l'initiative passait, une véritable transhumance des heureux bénéficiaires de ces largesses allait se produire, qu'ils allaient en masse quitter le pays, qu'on était au bord du désastre économique et fiscal... l'initiative a été adoptée, rien ne s'est produit de ce qui nous était prédit. Les prédicateurs eux-mêmes savaient : leurs jérémiades étaient de l'enfumage. Comme d'ailleurs celles qui retentissaient à Londres, en 2008, lorsque le Premier ministre travailliste Gordon Brown avait décidé de taxer (modérément) les bénéficiaires d'une sorte de cousin britannique du forfait fiscal, le statut de « non domicilié fiscalement ». Les gérants de fortune suisses salivaient à l'espoir que les malheureux «non dom» à qui les méchants travaillistes imposaient une taxe de 30'000 à 50'000 livres pour pouvoir bénéficier d'une imposition sur les seuls revenus réalisés ou importés au Royaume-Uni) allaient se précipiter en Helvétie pour échapper à cette taxe. Et qu'advint-il ? Rien. Nada. Nitchevo.

Le forfait fiscal, c'est un peu comme l'impôt sur les portes et fenêtres : une vieillerie. Mais si l'impôt sur les portes et fenêtres considérés comme signes extérieurs de richesse (plus on en a, plus on est supposé être riche) est tombé en désuétude (gardons-nous tout de même d'en trop parler, il pourrait encore inspirer ceux que l'impôt direct et progressif révulsent toujours, in pectore), le forfait fiscal, lui, a survécu aux conditions de son institution, lorsqu'il s'agissait d'attirer sur les rives de nos lacs de riches rentiers inactifs fuyant les brouillards de Londres. Désormais, alors même que ne pas avoir d'activité lucrative en Suisse est toujours une condition de l'octroi de ce privilège, nombreux sont ceux qui en bénéficient tout en gérant depuis la Suisse leurs petites affaires à l'étranger, tout en ne payant, grâce au cadeau de n'être imposés que sur la dépense, que le centième (ou moins encore) de ce qu'ils paieraient s'ils étaient imposés sur leur revenu et leur fortune, comme tout le monde sauf les plus pauvres... et eux...

Au fond, les « forfaits fiscaux » ne sont qu'une forme de forme fiscale particulièrement perverse parce que légalisée, ce qui en fait pour tous les fraudeurs potentiels le prétexte rêvé pour se livrer à d'autres formes de fraude ou de soustraction fiscales, s'ils en ont la possibilité -une possibilité que les contribuables salariés lambdas n'ont guère : à l'inégalité devant l'impôt s'ajoute ainsi l'inégalité devant la fraude.
« Soyez sûr que votre insatiable convoitise ne servira qu'à nourrir celle d'autrui, que vos friponneries ne feront qu'accumuler autour de vous une multitude d'autres coquins qui vous les rendront malgré vos soins et votre expérience » (Jean-Jacques Rousseau, Citoyen de Genève...)

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