Reconnaissances européennes de l'Etat palestinien : A quand un geste de la Suisse ?



    

Le Parlement européen se prononce pour la reconnaissance d'un Etat palestinien. A une très large majorité (toute la gauche), le Parlement français avait adopté début décembre une résolution (certes non contraignante) enjoignant au gouvernement de procéder à cette reconnaissance. En octobre, le Parlement britannique avait déjà fait de même, et le gouvernement (social-démocrate) suédois avait même procédé à cette reconnaissance officielle, la Suède étant le premier pays d'Europe occidentale (et le 135ème au monde) à le faire. "Les conditions de la reconnaissance d'un Etat palestinien ne sont pas réunies, plaident les adversaires de cette reconnaissance. Ces conditions étaient-elles mieux réunies lors de la reconnaissance de l'Etat d'Israël, en 1948 ? Avait-on attendu "la paix" pour le reconnaître ? Contrôlait-il la totalité de son territoire ? Les Etats qui reconnurent alors Israël étaient alors bien moins sourcilleux sur les conditions de cette reconnaissance (il est vrai que nombreux étaient ceux qui avaient à faire oublier leur indifférence, voire leur complicité, à la Shoah) que certains aujourd'hui à l'égard de celle d'un Etat Palestinien. Cet Etat palestinien que  135 Etats reconnaissent aujourd'hui, comme la plupart d'entre eux reconnaissent aussi l'Etat d'Israël. La Suisse n'est pas de ces 135 Etats. Peut-elle différer encore longtemps de s'y adjoindre ?




Si je ne suis pas pour moi, qui le sera? Et si je suis pour moi, qui suis-je?
Pirké Aboth
Si je ne suis pas pour moi, qui le sera? Et si je suis pour moi, qui suis-je?
Pirké Aboth
"Si je ne suis pas pour moi, qui le sera ? Et si je ne suis que pour moi, qui suis-je ?" (Talmud, Pirké Aboth)
Si je ne suis pas pour moi, qui le sera? Et si je suis pour moi, qui suis-je?
Pirké Aboth

Le gouvernement israélien est sous pression : même aux Etats Unis, le réflexe de soutien inconditionnel (politique et militaire) dont il jouissait jusqu'à présent s'érode -en réalité, il ne subsiste plus, en tant que soutien inconditionnel, que dans les rangs des fondamentalistes protestants, qui se prennent eux-mêmes pour l'Israel biblique. La poursuite obsessionnelle de la colonisation et de l'occupation, le siège de Gaza, l'échec des négociations que croyait pouvoir conduire le Secrétaire d'Etat américain John Kerry, l'autisme d'un gouvernement israélien (qui vient d'ailleurs d'éclater, les "centristes" en étant exclus, sans que l'on puisse espérer que le gouvernement qui sortira des urnes des élections anticipées prévues en 2015 vaudra mieux que l'actuel), tout concourt à délégitimer, non pas tant l'Etat d'Israël lui-même, que le discours paranoïaque et tribal par lequel il justifie son sabotage systématique de toute tentative d'accord avec les Palestiniens.

La "communauté internationale" est (hélas, trois fois) une "communauté", ou plutôt une addition, d'Etats. Et quand elle proclame le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, le droit des nations à l'autodétermination, elle proclame en même temps à la fois leur droit à se constituer en Etat, et leur quasi obligation hélas, trois fois) de le faire pour disposer réellement de ces droits proclamatoires. Et tant pis pour les peuples, pour les nations, sans Etat, surtout si elles ont délibérément choisi de ne pas s'en doter. Or il y a une nation palestinienne, née d'un peuple palestinien.
En s'implantant en Palestine, en l'occupant, l'Etat d'Israël a constitué cette nation palestinienne par cette occupation même, c'est-à-dire contre elle et contre lui -un peu comme la France constitua contre elle une nation algérienne. Cette constitution d'une nation palestinienne là où il n'y avait que des populations palestiniennes s'est d'ailleurs faite malgré les Etats arabes de la région, voire contre leur volonté : la nation palestinienne naît de l'oppression des des palestiniens, comme la nation juive était née, non de la religion juive, mais des pogroms et de l'antisémitisme. Lle sionisme originel n'est pas un communautarisme religieux : il ne considère la religion juive que comme un fait et un facteur de culture, et Israël n'a pas été constitué comme Etat par des intégristes religieux, mais par des laïcs, issus pour la plupart d'organisations socialistes (voire communistes, les antisémites ne s'étant de leur côté jamais privés d’exécrer en même temps "le juif" et le bolchévik") même ). Le "Bund" socialiste est une source de l'Etat d'Israël, même s'il n'était pas sioniste. Ni la Haganah, ni l'Agence Juive, ni le Congrès Juif Mondial, ni l'Etat d'Israël lui-même n'ont été fondés par des hommes (et des femmes) de droite : l'Irgoun et le Groupe Stern sont des arbres fascisants qui cachent une forêt socialiste (et communiste). Et si les colonies d'aujourd'hui sont des tumeurs, les kibboutzim étaient bel et bien des tentatives de construire une société socialiste, et de la construire d'en bas, non, comme pour les kolkhozes, d'en haut -ce n'est pas pour rien que jusqu'en 1967, des milliers de militants de gauche européens, juifs ou non,  firent au kibboutz pèlerinage -non religieux, mais politique. Ni pour rien qu'aujourd'hui, ce n'est pas à gauche mais à l'extrême-droite que les plus fervents adorateurs d'Israël se recrutent désormais, là où la détestation de l'islam a remplacé celle des juifs.

A gauche, le désamour à l'égard d'Israël est aussi patent qu'en Israël le désamour à l'égard de la gauche : les pratiques, les discours, les choix politiques des dirigeants israéliens l'expliquent -mais aussi, dans l'opinion publique israélienne, du moins dans sa part qui se définit comme juive, souvent avant même que de se définir comme israélienne, la substitution d'un nationalisme ethnique, religieux, militariste et autoritaire, du type précisément de celui que défendent les extrême-droites européennes, au "cosmopolitisme" socialisant  des fondateurs de l'Etat. En cette dérive, Israël n'a rien d'exceptionnel, mais elle le condamne plus sûrement que tout ce que pourront tenter contre lui les forces qui parasitent la nation palestinienne née, précisément, de l'occupation et de la colonisation. Car s'il n'y avait guère en Palestine au moment de la création de l'Etat d'Israël qu'une nation, l'israélienne, au sens moderne du terme (le sens qui lui donnaient Renan et les austromarxistes), il y en a bien désormais deux. Qui ont toutes deux le droit (non l'obligation : le droit...) de se constituer en Etat, et de le faire reconnaître par les autres Etats. Non comme une terre promise, mais simplement comme un des leurs.

C'est fait pour l'une, cela reste à faire pour l'autre, et la Suisse s'honorerait à le faire...

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