Massacre de "Charlie Hebdo" et du supermarché kacher : Les religions au banquet funèbre




Quelque chose nous dit qu'on va encore les voir défiler pendant des jours, les experts de l'islam, les experts de l'islamisme, les experts du terrorisme, les experts du terrorisme islamiste et les experts du contre-terrorisme. Sans compter une escouade de complotistes dénonçant la main du Mossad dans le carnage du magasin kacher et celles de la CIA, de la NSA et de la DGSE dans le massacre de Charlie Hebdo. Ne manquent que des experts des expertises. Mais depuis le temps qu'ils nous les gonflent, tous ces experts, nous qui ne sommes experts que de notre inexpertise, on se demande comment il se peut qu'il y ait encore des islamistes capables de discourir et des djihadistes en état de massacrer... et de nourrir les experts. Mais, tout contrits de briser la belle unanimité post-traumatique, on trouvera pire, et certainement plus pervers, et plus dangereux, que ce parasitisme des "experts" : celui des religions, s'invitant (ou étant invitées, ce qui sans doute plus navrant encore) au banquet funèbre des victimes d'un massacre commis au nom de l'une d'entre elle...


"Et si quand même Dieu existait ? Il faudrait s'en débarrasser..."


Depuis le massacre de "Charlie Hebdo", et plus encore depuis sa réplique du supermarché kacher, déferlent,  de partout et en même temps, les appels à ne pas "stigmatiser les musulmans" et les injonctions adressées à la "communauté musulmane" (ou, version pseudo-républicaine, à l'"islam de France") de condamner les massacreurs et de dénier toute parenté entre eux et l'islam. Comme si l'hypothèse de départ était celle de leur culpabilité collective d'un crime commis au nom de leur religion, comme s'il y avait une "communauté musulmane" dans une République qui proclame sa laïcité et que c'était en tant que "musulmans", pas en tant que citoyens que des Français fidèles de cette religion devraient se prononcer ? Même Plantu s'y est mis : dans son dessin à la "une" du "Monde", hier, d'une foule esquissée n'émergent que cinq personnages reconnaissables : la Marianne républicaine, évidemment, et le djihadiste de service, évidemment aussi... et un évêque, un imam et un rabbin (et la petite souris rituelle -elle doit être athée, agnostique ou franc-mac'). Dans la mobilisation pour "être Charlie", ces trois personnages-là, c'est-à-dire les trois monothéismes qu'ils personnifient, devaient-ils vraiment  avoir place et statut particuliers ? Est-ce de religion qu'il s'agit ?  La réponse à la purification djihadiste doit-elle forcément passer par la religion et les "communautés religieuses" plutôt que par la politique au sens le plus noble du terme, et par la citoyenneté ?


"Démocratie", République", "laïcité" ne sont pas synonymes -ni même chacun de ces mots une condition des deux autres. Il y a des démocraties non républicaines (toutes les monarchies constitutionnelles scandinaves, par exemple), des républiques non démocratiques (la Chine, par exemple) ou confessionnelles (l'Iran, par exemple...). Mais si ces mots ne sont ni synonymes, ni conditionnels les uns des autres, nous, nous les conjuguons (comme nous les conjuguons, en socialistes, à l'égalité...) les uns aux autres. Et cette conjugaison produit une république qui ne connaît que des citoyennes et des citoyens. Dans laquelle il n'y a pas de place pour des citoyens musulmans, chrétiens, juifs, agnostiques ou athées parce que toute la place est prise par des citoyennes et des citoyens à l'identité religieuse indifférente -des citoyennes et des citoyens "tout court" (mais ce "court" est bien plus large que si on y colle un qualificatif confessionnel, puisqu'il les dépasse tous...).

Sous la domination française, l'Algérie n'était, formellement, ni une colonie, ni un protectorat, mais des départements de la République française, mais des départements français soumis à une exception légale : la loi républicaine et laïque s'arrêtait là où commençait une loi de source religieuse, et la majorité de la population, définie en fonction de sa religion, était privée de droits accordés à la minorité (à commencer par le suffrage universel, et à continuer par les droits civils de la personne). Est-ce à cela que l'on veut en revenir en érigeant une "communauté musulmane" sommée de se prononcer en tant que telle et des "musulmans" à protéger en tant que tels, à la fois de l'intégrisme et de l'islamophobie ? Quelle victoire posthume, alors, offrirait-on en cadeau aux sanglants connards qui ont sévi à Paris et autour de Paris la semaine dernière... 



Dans la "Tribune de Genève" de samedi, un fidèle interrogé à la sortie de la prière s'interroge, légitimement : "Pourquoi venez-nous nous voir aujourd'hui ? A votre place, j'irais devant un hôpital psychiatrique voir des malades, parce que ceux qui ont fait ça, ce sont des fous". De ce peuvent penser de l'intégrisme religieux les musulmans en tant que musulmans, les chrétiens en tant que chrétiens, les juifs en tant que juifs, les végétariens en tant que végétariens, on se bat les flancs : c'est ce qu'ils pensent en tant que citoyens qui nous importe, à nous, en tant que citoyens, et non en tant qu'athées. En tant que citoyens, eux et nous, en tant que sociétaires dont les convictions religieuses sont parfaitement indifférentes à nos qualités de citoyens. Autrement dit, pour en revenir à la triste actualité, c'est la position du citoyen Ramadan, du citoyen Ouardiri, du citoyen Blanchot qui peut nous importer, pas leur position de musulman. Charb le disait, avant de se faire assassiner par les automates du djihad  : "On s'inquiète de voir les musulmans modérés ne pas réagir. Il n'y a pas de musulmans modérés en France, il n'y a pas de musulmans du tout, il y a des gens qui sont de culture musulmane, qui respectent le ramadan comme moi je peux faire Noël et bouffer de la dinde chez mes parents, mais ils n'ont pas à s'engager plus que ça contre l'Islam radical en tant que musulmans modérés, puisqu'ils ne sont pas musulmans modérés, ils sont citoyens"...
Pourquoi, au nom de quoi, accorder dans la définition de la citoyenneté (et dans celle des libertés) aux religions un statut particulier, distinctif de celui des philosophies ? (on devrait dire : "des autres philosophies", puisque les religions ne sont rien d'autre que des philosophies, certes tartinées de mythologies, mais auxquelles il n'y nulle raison d'accorder le privilège d'un statut qui les rehausserait par rapport aux "autres philosophies"). "J'en ai marre de voir défiler des imams qui disent : "ce n'est pas ça le vrai islam", soupire le dessinateur algérien Ali Dilem... s'il n'y avait que des imams en ce défilé, on pourrait se contenter de le voir passer en le renvoyant aux musulmans eux-mêmes -mais tout le monde s'y met, à brandir le bon, le beau, le vrai islam pour exorciser celui proclamé par les djihadistes. Comme si, par définition, une religion -celle-là ou une autre- ne pouvait  qu'être étrangère à la connerie, à l'intolérance et au crime. L'histoire, pourtant, réfute cette étrangeté... 


Nous n'avons rien à demander aux religions et aux dieux. Rien, ni de s'excuser des crimes, ni d'expliquer leurs (dé)raisons, ni de soutenir leur condamnation. Nous n'avons rien à leur demander, parce que nous n'en attendons rien. En revanche, nous avons tout à demander à nos semblables, parce que nous en attendons tout. A commencer qu'ils soient aussi libre que nous croyons, voulons ou nous prétendons être : "la liberté de tous étend la mienne à l'infini"...
Et qu'on ne nous accuse pas d'"islamophobie" nous ne sommes pas islamophobes. Nous sommes théophobes -comme disait Bakounine (ou faisait Léo Ferré dire à Bakounine), "Et si quand même Dieu existait ? Il faudrait s'en débarrasser"... 




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