« On a tué Charlie Hebdo » ? Eh bien non : « Nous sommes Charlie » !

Albert Camus évoquait « ce droit au déshonneur dont Dostoïevski disait déjà qu'on est toujours sûr, l'offrant aux hommes, de les voir s'y ruer ». Ils furent trois à s'y ruer, hier, dans les locaux de Charlie Hebdo, abattant douze dessinateurs, journalistes, policiers...« On a tué Charlie Hebdo », beuglait après le massacre l'un des massacreurs, tout fier de son acte. Eh bien non : Des dizaines de milliers, peut-être des centaines de milliers de personnes, se sont rassemblées dans toutes les villes de France, et un peu partout en Europe (nous étions entre 500 et 1000, à Genève) pour dire « nous sommes Charlie ». Une journée de deuil national a été proclamée en France aujourd'hui, avec un hommage aux victimes du massacre. A Genève, à midi et demi, place Neuve, un rassemblement est organisé en soutien a Charlie Hebdo. Une grande marche de défense de la République et valeurs aura lieu à Paris, samedi. Et mercredi prochain, Charlie reparaîtra. On n'aura pas tué Charlie. « L'humour est le plus court chemin d'un homme à un autre » (George Wolinski) Les abrutis ne sont pas forcément des imbéciles : ceux d'hier, à Paris, au moins, savent qui sont leurs ennemis... En s'attaquant à Charlie Hebdo, ils ont bien choisi leur cible. Leur cible, c'est nous. Et il nous faut des convictions démocratiques ou libertaires bien solides pour résister à l'envie de traiter nos ennemis comme ils traitent nos amis... Car ce sont les nôtres qu'on a tué : c'est Charlie Hebdo qu'on a attaqué, pas Minute. C'est Cabu, Wolinski, Charb, Oncle Bernard, qu'on a abattu, pas Zemmour. Il importe peu que l'on partage ou non la ligne éditoriale de Charlie, sa conception de l'humour, son  sens de la polémique. Charlie est héritier de cet « esprit de '68 » que vomissent les Zemmour, les Sarkozy, les Le Pen -et chez nous, les Freysinger et les Blocher. Hara Kiri, Charlie, nous accompagnent depuis un demi-siècle. Cabu, Wolinski, Charb, c'est notre famille. On a grandi avec le Grand Duduche. On a croisé les beaufs. On s'est nourri de Cavanna et de Delfeil de Ton, de Reiser, de Wilhem... « L'humour est le plus court chemin d'un homme à un autre » disait George Wolinski. Et le droit au blasphème est inséparable de la liberté d'expression. On peut, on doit, rire de tout. La liberté d'expression ne peut être qu'absolue, ou ne pas être. Garantie même aux salauds. Les connards à la Dieudonné ont le droit d'exprimer leurs conneries. Et nous, celui, si la nausée nous prend, de vomir publiquement le Coran, la Torah, les Evangiles, le Livre de Mormon ou les oeuvres complètes de Bakounine. «  En ne lisant qu'un seul livre, l'homme devient fanatique. En en lisant plusieurs, il devient libre »  écrit le poète, journaliste et écrivain  Kamel Daoud, cible le mois dernier d'une fatwa appelant à sa condamnation à mort. Mais l'ont-ils seulement lu, le livre dont ils se réclament, les trois tueurs d'hier ? Les assassinats d'hier n'ont rien à voir avec l'islam, est-on sommé de proclamé... Ni plus, ni moins à voir, alors, que la Saint-Barthélémy, le massacre des Albigeois («  Tuez-les tous, Dieu reconnaîtra les siens »...) ou les tortures de l'inquisition avec le christianisme... Bien sûr, il ne faut pas «stigmatiser les musulmans» après l'acte commis hier, mais tout de même, on peut s'autoriser à stigmatiser les religions : ce n'est pas au nom de l'épicurisme que les assassins de Charlie Hebdo ont assassiné mais bien au nom du Prophète et au nom de Dieu... comme d'autres assassinaient au nom du Dieu chrétien, du Dieu juif, de dieux païens...  mais vous verrez, vous lirez, on lit déjà, des « complotistes » nous expliquer que cet attentat n'a pas été commis par qui on croit, pour les raisons qu'on croit, et que sur la gachette de la kalachnikov, il y avait la main de la CIA ou du Mossad ou de la DGSE, ou de la Gauche Dugong, pas la main d'Al Qaïda ou de Daech. Cabu, Wolinski, Charb ont payé de leur vie une liberté qui est source de toutes les autres. Et qui, pour cette raison, est la première cible de tous ceux que l'idée même de liberté révulse. Les nazis brûlaient des livres, les inquisiteurs des philosophes, les djihadistes assassinent des dessinateurs, tout se tient, et aujourd'hui, s'attaquer à la liberté d'expression et de publication, c'est s'attaquer à toutes les autres libertés, plus encore qu'à la démocratie elle-même. Pour que Cabu, Wolinski, Charb, Bernard Maris et tous les autres ne soient pas « morts pour rien », il n'y a qu'une réponse à donner à leurs massacreurs et à ceux qui les prendront comme exemple : continuer à dire, à écrire, à dessiner, à publier, à dire ce qu'on pense, comme on le pense. Si l'exercice de la liberté est dangereux, c'est précisément qu'il est précieux. Que nul n'y renonce. Que l'autocensure ne devienne pas notre premier réflexe. J'ai le droit de tout dire, de tout écrire, j'aurais celui de tout dessiner si je savais dessiner. Vous me niez ces droits ? Je vous emmerde ! Je suis Charlie.

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