Apolitique genevoise des transports et de la « mobilité » : Laissez passer la meule à Lulu !


Sous prétexte de « fluidifier le trafic », le Conseiller d'Etat Luc Barthassat propose d'autoriser les deux-roues motorisés à utiliser les couloirs des bus. Ni la police ni les TPG n'avaient été informés de l'idée géniale du génial Conseiller d'Etat avant qu'il la rende publique. Lulu roule à moto, donc Lulu veut autoriser les motos à rouler sur les voies TPG. Si Lulu se déplaçait en char à bœufs, il autoriserait les chars à boeufs sur les autoroutes, et s'il se déplaçait à dos de chameau il autoriserait les caravanes chamelières dans les rues basses, mais comme il roule à moto, les motos auront le droit d'emmerder les bus. C'est la nouvelle rédaction du grotesque prédicat constitutionnel sur la « liberté du choix du mode de transport » : la liberté de Lulu du choix de Lulu du mode de transport de Lulu. Faut bien que ça serve à Lulu que Lulu soit conseiller d'Etat...

Portam itineri dici longissimam esse

En septembre de l'année dernière, plus de 12'000 personnes avaient répondu à un questionnaire sur la « mobilité », lancé par le Département des Transports de Luc Barthassat. Sans échantillonnage des destinataires du questionnaire, celui-ci ne peut certes être considéré comme fidèlement représentatif des opinions et des préférences des Genevois, mais la masse des réponses obtenues permet tout de même de les prendre au sérieux. Or ces réponses plébiscitaient les transports publics et la mobilité douce au centre-ville (à 90 % dans l'hyper-centre), et même les soutenaient à 63 % à sa périphérie. Les réponses laissaient également apparaître une majorité en faveur de l'interdiction des véhicules les plus polluants lors de « pics de pollution », et de la gratuité des transports publics. Ces réponses ne tombent pas du ciel, mais montent de la rue : elles sont les réponses à une situation genevoise qui se résume, s'agissant de la politique des transports, par quatre mots : encombrement, pollution, insécurité, insuffisance. Encombrement de l'espace public par l'automobile (même quand elle n'est pas utilisée), pollution de l'environnement urbain (et dégradation subséquente de la santé publique), insécurité des déplacements piétons et cyclistes, du fait de la non-séparation des différents modes de transports sur la voie publique, insuffisance de l'offre des transports publics, des pistes cyclables et des parcours piétons, malgré le vote populaire d'une initiative exigeant leur renforcement.
Plus de 90 % des réponses au questionnaire de l'automne dernier exprimaient l'exigence d'une priorisation des modes de transport, contrairement à la proclamation constitutionnelle du « libre choix » de ces modes -comme si ce « libre choix » était matériellement possible, et même, osons les grands mots qui font peur, intellectuellement concevable. En se prononçant majoritairement en faveur de la « mobilité douce », non seulement dans les réponses au questionnaire lancé par Barthassat, mais aussi en votation populaire il y a quatre ans, les Genevois ont fait le choix de lui donner priorité sur le déplacement automobile.  Ce défi politique étant lancé, le Conseiller d'Etat (et le gouvernement) comment le relèvent-ils ? En brandissant le vieux fétiche de la traversée routière du petit lac et en évoquant treize « actions engagées » dont les unes auraient dû être engagées depuis longtemps (comme ce «programme d'action en faveur du réseau cyclables »... demandé en 2011 par le peuple), les autres sont réduites à moins que le strict minimum (une seule zone piétonne proposée -et encore : liée à la construction d'un parking, à Rive), d'autres encore ne sont même pas évoquées (rien sur le péage urbain, rien sur le réseau ferroviaire), d'autres enfin aggraveront encopre la situation (telle l'autorisation donnée aux deux-roues motorisés d'utiliser les voies de bus).

La situation genevoise devrait imposer des réponses claires, nettes, courageuses. Au risque, assumé, de mécontenter ceux qui croient encore qu'on peut, en zone urbaine, ménager le loup, la chèvre, le chou et le berger en laissant circuler tous les moyens de transports en même temps, sur la même voirie, en laissant le déplacement en automobile privée engorger cette voirie (Genève est la « capitale suisse du bouchon routier » , titre la Tribune de Genève...) et exclure, de fait, tout développement réel des transports publics et de la mobilité douce en faisant les mêmes risettes au TCS et à l'ATE, à la gauche et à la droite, aux Verts et au MCG... et en attendant le CEVA pour sortir de cette impasse comme les Hébreux attendaient Moïse pour sortir d'Egypte. Or le CEVA ne suffira pas. Et Barthassat n'est pas Moïse. Et le lac n'est pas la Mer Rouge. Et on attend toujours un véritable projet d'une nouvelle politique des transports et de la mobilité.
Et pas seulement la proclamation du droit de Lulu de faire rouler sa meule sur les voies des bus.

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