Centenaire du génocide arménien : quand les Kurdes donnent l'exemple

Demain, on commémorera le centenaire du génocide arménien. On le commémorera à Erevan, on le commémorera à Berne, et à Diyarbakir, au Kurdistan turc. En Suisse, la négation de ce génocide, et la complaisance à l'égard des négationnistes (celle, par exemple, du gouvernement genevois et du gouvernement suisse, dans la navrante polémique sur le lieu d'installation d'un mémorial de ce génocide -et  de tous les autres) perdure, faisant insulte aux Arméniens, aux victimes du génocide, aux rescapés, à leurs descendants, mais aussi au peuple turc, que l'on considère comme incapable de regarder sa propre histoire en face, et au peuple suisse lui-même, et aux Genevois, rendus complices d'une lâcheté intellectuelle et politique inacceptable (dans une ville qui fut l'un des foyers de la naissance du mouvement national arménien). Aux côtés d'intellectuels, d'artistes, de journalistes turcs, aux côtés d'Arméniens qui se rendent en Turquie sur les lieux où vivait leur peuple et où il a été massacré, le peuple kurde de Turquie, lui, avec ses organisations et ses porte-paroles, regarde désormais en face, et assume, son histoire, avec tout ce qu'elle contient. Demain vendredi, à 17 heures à Berne (Casinoplatz), une manifestation exigera du Conseil fédéral et de la Turquie la reconnaissance du génocide arménien. Comme les Kurdes de Turquie, aujourd'hui, en donnent l'exemple, et la leçon à nos propres gouvernants. "Mais l'amertume que j'ai bue aux coupes du besoin s'est faite – fer devenue – que révolte, qu'énergie" (Missak Manouchian) La Ville de Genève avait décidé, sur mandat de son Conseil Municipal unanime, d'ériger une installation commémorative du génocide des Arméniens et des autres génocides du XXe siècle, mais aussi des relations séculaires de Genève avec l'Arménie. Ce geste de la Ville n'a pas été du goût d'une association négationniste turque, qui a recruté le MCG pour s'opposer au projet de la Ville et de la communauté arménienne, et en a appelé ensuite au gouvernement fédéral suisse pour l'entraver. Le gouvernement fédéral en a appelé au canton pour qu'il refuse à la Ville l'autorisation d'installer le mémorial prévu, là où elle l'a prévu, le Conseil d'Etat a suivi et il s'est trouvé au Grand Conseil une majorité pour faire de cette pleutrerie une ligne politique. Mais ceux qui croient sans doute avoir obtenu une victoire en incitant nos pusillanimes ministres à tout faire pour entraver l'installation des "Réverbères de la mémoire" là où ils pourraient éclairer autre chose que des feuilles mortes se trompent : ils sont déjà les perdants de la polémique qu'ils ont allumée. Ils en sont les perdants à Genève, où la Ville, par la voix de son Maire Sami Kanaan ne renonce pas à la réalisation du projet de mémorial et s'engage à la réaliser, et ils en sont même les perdants en Turquie. La "Tribune de Genève" d'hier consacrait une belle page au "réveil arménien au Kurdistan" de Turquie, au "printemps de la mémoire" à Diyarbakir, où se commémorera, comme en Arménie, un génocide dont le gouvernement turc refuse toujours de reconnaître l'évidence. Si cette évidence sera proclamée à Diyarbakir, c'est que les Kurdes de Turquie ont fait le pas que la Turquie officielle refuse de faire, alors même que lors du génocide, les tribus kurdes furent utilisées par les génocidaires pour exterminer les Arméniens (comme, un quart de siècle plus tard, les nazis utiliseront des Ukrainiens pour aider à l'extermination des juifs, le génocide des Arméniens étant le modèle sur lequel les nazis ont construit leur propre programme génocidaire). Aujourd'hui, le seul parti représenté à l'Assemblée nationale turque qui reconnaisse le génocide et exige du gouvernement turc qu'il le reconnaissance, est le parti kurde pour la Paix et la Démocratie. Aujourd'hui, les autorités locales de Diyarbakir restaurent les lieux de la mémoire arménienne, à commencer par les églises, et organisent avec les Arméniens la commémoration de leur extermination. Aujourd'hui, les Kurdes de Turquie se souviennent aussi que cette extermination des Arméniens, à laquelle des Kurdes ont pris part, a précédé des massacres de Kurdes par ceux-là même qui avaient utilisés des Kurdes contre les Arméniens. On le redit, et on le redira : ce ne sont pas les Turcs d'aujourd'hui qui sont coupables du génocide de 1915 -ils n'en portent la souillure que parce qu'en leur nom ce crime est nié par des groupes négationnistes qui parasitent le travail de réconciliation entre les peuples. Cette réconciliation entre les peuples d'Arménie et de Turquie se fera, malgré les négationnistes, et elle a  commencé de se faire  : Les Kurdes de Turquie, les Alévis et de plus en plus d'intellectuels et d'artistes turcs montrent l'exemple. Parfois au risque de leur vie. Le journaliste Hasan Cemal, petit-fils de l'un des dirigeants du gouvernement qui planifia le génocide, a été poursuivi en justice et menacé de mort pour avoir appelé à la reconnaissance du génocide, comme l'écrivain Orhan Pamuk, lui aussi poursuivi en justice, comme le journaliste Hrant Dink, assassiné, Ce qui fut commis en 1915 ne s'efface pas en interdisant ou en calfeutrant un mémorial qui le rappelle. Le combat des négationnistes n'est pas seulement un combat odieux, c'est aussi un combat absurde, parce que déjà perdu, et les petites lâchetés et les gros calculs des gouvernements suisse et genevois n'y pourront rien. Ce que les Kurdes, les Alévis, les démocrates turcs ont déjà reconnu, la Turquie officielle finira aussi par le reconnaître, malgré les cadavres politiques réunis dans la culture de l'amnésie volontaire pour nier à la fois la justice et l'évidence. Le Conseil fédéral sera absent de la commémoration du génocide, à Erevan, vendredi, où seul l'ambassadeur suisse représentera la Suisse : à nos gouvernants, aujourd'hui, les Kurdes de Turquie donnent une leçon de lucidité et de courage dont ils semblent avoir grand besoin. Cette leçon vaut bien les trois milliards d'échanges commerciaux entre la Suisse et la Turquie, et la tranquillité des diplomates turcs du quartier des Nations à Genève, sans doute.

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