Création de l'Union des Villes Genevoises : Enfin...


 
"La nouvelle répartition des tâches entre le canton et les communes devra aboutir à l'élargissement des compétences communales et à la reconnaissance du statut de ville-centre de Genève", a averti la Conseillère administrative Sandrine Salerno, en présentant les comptes (bénéficiaires) de la Ville pour 2014. C'est peu de dire que l'intention du Conseil d'Etat n'est pas franchement à l'unisson des souhaits de la ville-centre et de ceux des autres villes du canton, les six plus importantes d'entre elles (Genève, Vernier, Lancy, Meyrin, Carouge, Onex, rassemblant entre les six plus des deux tiers de la population de tout le canton) ayant créé, le 28 mars, leur propre association, l'Union des Villes Genevoises, non pas concurrente mais complémentaire de l'institutionnelle Association des communes genevoises dominée par les petites communes rurbaines. 

A la création de l'Union des Villes Genevoises, ses initiateurs avaient invité huit autres communes que les six qui, finalement, ont porté la nouvelle association sur les fonds baptismaux politiques, mais ces huit communes, toutes de moins de 15'000 habitants et toutes dirigées par des majorités de droite, ont décliné l'invitation, alors même que certaines voix (comme celle de la magistrate PLR de Chêne-Bougeries, Beatriz de Candolle) y avaient salué plutôt positivement l'initiative des villes. Car celle-ci s'adressait à toutes les communes répondant à des critères purement objectifs, indépendants des rapports de force politique, mais reposant sur la population (plus de 10'000 habitants) ou la densité (plus de 1500 habitants au kilomètre carré) déjà atteintes ou devant l'être à court terme, comme à Confignon ou Chêne-Bourg. Bref, ce qu'il s'agissait de créer n'était pas, et ce qui a été créé n'est pas, une "Union des Villes de Gauche", mais une "Union des Villes Genevoises". Enfin !

Scoop : tout Genève est urbaine, y compris ses communes résidentielles, y compris ses communes anciennement rurales

85 % de la population du canton de Genève réside dans 14 des 45 communes de la République, et plus des deux tiers dans les six communes fondatrices de l'Union des Villes Genevoises, mais le mot même de "ville" semble encore faire peur dans le canton le plus urbanisé de Suisse (avec Bâle-Ville), où l'illusion d'une "campagne" préservée tient du patrimoine idéologique. Il est vrai que par "campagne", on entendait naguère les villas et manoirs de l'aristocratie de la Ville-République, à quoi ressemblent, à leur manière, les communes résidentielles de la rive gauche... 
On comprend donc bien l'acrimonie avec laquelle l'Association des Communes Genevoises, le vieux comice institutionnel un peu réformé dans son fonctionnement mais sans l'être réellement dans son rôle (même si elle a été institutionnalisée et proclamée interlocuteur officiel du gouvernement cantonal) a accueilli la création de l'Union des Villes, et on n'a guère été surpris de la réaction de la présidente de l'ACG, la Conseillère administrative PLR de Vandoeuvres, qui avait dénoncé, avant même la création formelle de l'UVG, une "scission" (ce que l'UVG n'est pas, puisque ses membres le restent de l'ACG) et un risque de division (risque que seul fait peser le refus des communes de droite de répondre à l'invitation des villes de gauche).
On comprend surtout que ces communes craignent de perdre la majorité quasi-automatique dont elles disposent au sein de l'ACG, où elles majorisent les villes alors qu'elles n'abritent que moins du tiers de la population du canton, et que le canton craint l'affaiblissement d'un interlocuteur d'autant plus privilégié qu'il est complaisant lorsqu'il s'agit de s'en prendre aux villes, et en particulier à "la Ville"...
On comprend donc d'autant mieux aussi l'espèce de fin de non recevoir opposée par le président du Conseil d'Etat à la création de l'Union des villes genevoises : "à quand une union des communes rurales, ou de 5000 habitants, ou des villes de droite ?", plaisante François Longchamp -qui en l’occurrence joue fort bien les andouilles : l'"union des communes rurales, ou de 5000 habitants, ou des villes de droite" existe déjà : elle s'appelle Association des Communes Genevoises...

Le Conseil d'Etat a déposé en janvier un projet de loi-cadre sur la répartition des tâches entre les communes et le canton. Ce "chantier institutionnel" devra, selon la constitution, être achevé le 31 mai 2018. au plus tard. Un catalogue de trente propositions avait fait l'objet d'un simulacre de  consultation des communes, via l'Association des communes genevoises (ACG), à la fin de l'année dernière, et avait suscité une vague de critiques, de la part de nombreuses communes, de leur association (l'ACG), et tout particulièrement de la Ville de Genève, qui avait quelques raison de se sentir particulièrement visée par une démarche dont la finalité apparaissait dans le meilleure des cas peu claire, et dans le pire (jamais sûr, mais toujours possible) comme une double opération de mise sous tutelle (faute de pouvoir abolir purement et simplement la commune de Genève, ou de pouvoir la tronçonner en communes de quartier) et de siphonnage de ses ressources.
On n'a pas fini de débattre à Genève de la "répartition des tâches" entre le canton et les communes. Reste à savoir à quoi va ressembler ce débat, et s'il sera digne de l'enjeu. Et de ce point de vue, et dans cette attente, un lourd doute plane et pèse de tout le poids des arrière-pensées cantonales (et de celles des communes "résidentielles").
Que la Constitution prévoie des tâches "conjointes" du canton et des communes, et des tâches "complémentaire", assumée par l'un ou les autres en complément des autres ou de l'un ne clarifie guère les enjeux : En quoi la situation, les charges, les tâches, les prestations de la Ville de Genève, des grandes communes urbaines et des petites communes rurbaines sont elles comparables, que l'on puisse les traiter de la même manière ? Il y a dans tous les domaines de l'action politique des enjeux spécifiquement urbains, qu'une association comme l'ACG ne peut que très difficilement relever (à supposer même qu'elle le veuille, ce qui ne crève pas les yeux) et que le canton lui-même rechigne à prendre en compte. L'évidence tarde ainsi à se faire jour que tout Genève est une ville, y compris ses communes résidentielles, y compris ses communes anciennement rurales et désormais rurbaines, dont plus aucune n'a plus depuis longtemps une population majoritairement active dans des activités rurales, mais dont toutes se reposent sur les villes en général, et celle de Genève en particulier -qui finance, seule, chaque année, pour 200 millions de francs de prestations et d'investissements pour des résidents d'autres communes.

Les villes associées dans leur nouvelle union, et qui ne désespèrent pas d'être rejointes par d'autres communes déjà villes ou en passe de l'être, ont besoin de mieux faire entendre leur voix, de mieux faire comprendre leur situation, de collaborer plus étroitement pour résoudre des problèmes et réaliser des projets communs, partager leurs expériences respectives, et partager aussi des moyens. La libérale de Chêne-Bougeries Beatriz de Candolle en convenait : "les petites communes ne comprennent pas nos problèmes"... C'est ce qui justifiait la création de ce que le Maire de Genève, Sami Kanaan, appelle un "lobby des villes", parce que "la population des villes (...) attend de ses élus plus qu'une mise sous tutelle partisane, rurale ou cantonale". Pour que l'"intercommunalité" soit autre chose qu'un rite rhétorique, un prédicat constitutionnel sans réalité sur le terrain. Pour que le travail de réforme de la la répartition des tâches entre les communes et le canton se fasse en prenant en compte les besoins, les capacités, les pratiques de communes qui abritent les deux tiers de la population du canton, plutôt que les envies, les rancœurs et les frustrations du Conseil d'Etat, les automatismes et l'analphabétisme politique des technocrates à son service -ou la vieille rogne de la droite cantonale à l'égard de la Ville de Genève, que celle-ci soit dirigée par une majorité de gauche comme depuis 25 ans, ou par une majorité de droite comme pendant le siècle et quart ayant précédé...

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