Cachez ces immigrants qu'on ne saurait voir...
Mondo Cane...
Sur les côtes italiennes et grecques, les naufragés survivants de
l'exode africain s'échouent, jour après jour, par centaines,
laissant derrière eux, au fond de la mer, des centaines de leurs
camarades. A Vintimille, les polices française et italienne se
renvoient les réfugiés comme des colis indésirables. Mondo Cane... A
Genève, les autorités cantonales, dont on sait que le projet est de
faire de Genève le « hub » romand des expulsions de requérants
d'asile déboutés, tout en parsemant la république de prisons
diverses et variées dont l'une au moins serait réservée à ces
indésirables métèques, se livrent à un déplacement forcé ayant
toutes les apparences d'un véritable enlèvement, des hommes
célibataires du foyer des Tattes (où un incendie à tué un réfugié il
y a quelques mois) pour les installer (on dira plutôt : les stocker)
dans un abri souterrain. Depuis lundi, avec l'accord de la Ville de
Genève, des migrants et des militants occupent le centre culturel du
Grütli pour protester contre l'enfouissement des requérants d'asile.
Ce soir encore, à 18 heures, un rassemblement se tiendra devant le
centre culturel) du Grütli pour les soutenir dans leur combat pour
un lieu d'hébergement durable, vivable... et à la surface terrestre.
O welche Lust, in freier Luft - Den Atem leicht zu heben!
Les migrants dont notre glorieuse terre d'accueil ne veut pas, ou
qu'elle ne veut en tout cas pas voir, sont transférés, par surprise,
d'un centre d'hébergement à un abri souterrain (l'abri de protection
civile de la Gabelle, à Carouge). Stocker les requérants d'asile
déboutés dans des abris PC souterrains, sans lumière naturelle, est
une méthode inacceptable, comme sont inacceptables, dans un pays et
une ville aussi riches que la Suisse et Genève, les conditions qui
sont imposées en ces lieux à des gens qu'on traite comme un cheptel
-et encore : si c'étaient des animaux qu'on « logeait » ainsi, une
foultitude de défenseurs de la cause animale se mobiliseraient pour
dénoncer de telles pratiques. « Nous appelons le Conseil d'Etat à
trouver une alternative décente à l'hébergement sous terre », a
lancé, au nom de la Ville de Genève (qui a autorisé l'occupation de
son centre culturel du Grütli par les requérants d'asile et leurs
soutiens), le Conseil administratif Sami Kanaan...Une « solution
décente »? Mauro Poggia, ministre MCG de tutelle de l'Hospice
Général, ne répond que par un piteux «Nous n'avons pas d'autre
endroit où loger ces gens » (et les bureaux que son copain de
parti, Ronald Zacharias, veut transformer en logements, alors ? Et
la caserne des Vernets ? Et les locaux que que l'Eglise protestante
veut louer pour boucher les trous de son budget ?)...
Au Grand Théâtre, en ce moment, on donne l'unique opéra de
Beethoven, « Fidelio ». Un hymne à la liberté, où des détenus,
extirpés de leurs culs de basse-fosse, revoient la lumière du jour,
et la chantent (O welche Lust, in freier Luft - Den Atem leicht zu
heben!...) avant d'être ramenés dans leurs trous (pour, finalement,
en sortir au happy end de l'opéra, quand les victimes sont sauvées
-par un bon ministre... Beethoven avait de ces naïvetés...). A deux
pas, au Grütli, des requérants d'asile se battent pour pouvoir, eux
aussi, être à la lumière du jour. « Nous ne sommes pas des rats »,
dit l'un de ces immigrants que la capitale mondiale des Droits
humains veut stocker souterrainement. Sans doute y aurait-il plus de
gens pour protester contre le traitement qu'on leur impose, s'ils
étaient des rats. Mais ils ne sont que des migrants. Et des migrants
pauvres. Rien qui vaille des rats.
C'est sur injonction de l'Hospice Général (qui tient le même
discours que son tuteur politique : on ne sait pas où mettre ces
gens ailleurs que dans des abris PC) que les « déboutés de l'asile
censés quitter le pays » (pour aller où ? A leur point de départ,
d'où ils pourront repartir pour nous revenir ?) sont « transférés »
des Tattes à un abri PC.
C'est un nom un peu archaïque, « Hospice Général », un nom qui nous
vient tout droit de la République calvinienne, mais c'est un nom
qui sonne bien. «Hospice», cela suggère l'accueil, la compassion, la
solidarité, le soutien... « Hospitalité » en vient -on voit ce qu'il
en reste... Quant à « Général »... cela ne nous suggèrera-t-il
bientôt que le titre du beau roman d'Ismaïl Kadaré, ce Général de
l'armée morte sillonnant l'Albanie pour retrouver les corps des
soldats italiens tués lors de la Guerre Mondiale ?
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