Votation fédérale sur la redevance radio-TV : L'enjeu derrière l'enjeu...


   

Il n'a l'air de rien, l'enjeu du vote sur la redevance radio/TV, ce 14 juin... mais il est farci d'arrière-pensées, de vieilles rancunes contre le service public de radio et de télévision (ce « repaire de gauchistes »), d'études de marché gardées sous le coude au cas où... D'ailleurs, si la réforme proposée par le Conseil fédéral et la majorité du parlement n'était qu'une adaptation aux changements de comportement des consommateurs de media, pourquoi le bras armé patronal de l'UDC, l'USAM (Union suisse des arts et métiers) se serait-elle fendue d'un référendum ? Il se trouve que cette réforme a aussi pour objectif de maintenir en Suisse un service public médiatique fort, pluraliste et quadrilingue : des radios et des télévisions généralistes. Et que ce service public en soi, et les principes que, tant bien que mal, plus ou moins rigoureusement, il respecte (le pluralisme des opinions politiques et des contenus culturels, par exemple) tiennent depuis toujours de l'hérésie aux yeux et aux oreilles (sensibles) de la droite de la droite. D'où référendum. D'où vote populaire. D'où un enjeu qui dépasse largement celui de la redevance elle-même pour atteindre à  celui de la liberté d'expression...

Quel groupe privé aurait intérêt à  financer une chaîne télé culturelle suisse en italien ?

Ecouter la radio avec un poste de radio, regarder la télé sur un poste de télé, n'est plus qu'une manière comme une autre de « consommer »  du medium audiovisuel. La radio, la télé, passent désormais aussi, et de plus en plus, sur les tablettes, les ordinateurs, les smartphones (en attendant sans doute qu'on nous greffe un récepteur dans ce qui nous restera de cerveau). La réforme de la redevance radio/TV veut tenir compte de ce changement, en soumettant tous les ménages au paiement de la redevance, mais en y soumettant aussi les entreprises, en fonction de leur chiffre d'affaire. Si la proposition passe la rampe de la votation, les ménages payeront 85 % du total de la redevance (mais chaque ménage paiera 60 francs de moins qu'aujourd'hui), et les entreprises les 15 % restant. Toutes les entreprises ayant un chiffre d'affaire supérieur à  500'000 francs, et pas seulement celles (une sur cinq)  qui aujourd'hui acceptent de payer (car les entreprises sont déjà  soumises à  la redevance, pour autant qu'elles utilisent postes de radio ou de télévision). C'est cette dernière proposition qui a été le prétexte du référendum lancé par le syndicat patronal des PME -alors même que la plupart des PME seront exonérées de la taxe, et qu'une entreprise sur dix paiera moins qu'aujourd'hui. On parle bien d'un « prétexte » du référendum. Car la véritable opposition à  la réforme proposée est bien plus ancienne que cette réforme : c'est une opposition à  la radio-télé de service public en tant que telle. En tant que service public, à  abattre, ou à  tout le moins à  réduire à  la marge du « paysage audiovisuel », pour laisser la plus grande place possible aux media privés.

Les entreprises de publicité, et les grands groupes de presse, sont en pointe dans ce combat contre les media publics, pour pouvoir en reprendre les contenus les plus rentables, les plus marchandables (le sport,. par exemple). Inutile de dire que dans cette hypothèse, le pluralisme linguistique imposé au service public ne serait plus qu'un vague souvenir. Actuellement, les Alémaniques paient une part de la redevance correspondant à  leur poids démographique (en gros, 70 %) mais ne reçoivent que 45 % de son produit. Cette inégalité compensatoire permet de maintenir des chaînes francophones et italophones, et des programmes en romanche, qui ne seraient plus que des vestiges confidentiels si la « loi du marché » régnait : quel groupe médiatique privé aurait le moindre intérêt à  financer une chaîne télé culturelle suisse en italien ? Ou même en français ?

Un franc par jour pour maintenir des chaînes publiques de radio et de télévision, en quatre langues, assurant bien mieux (ne serait-ce que parce que la loi les y oblige.,..) que le secteur privé le droit à  une information pluraliste, à  la diversité des opinions et des modes d'expression, ce n'est pas trop cher payé. Et faire payer les entreprises comme les ménages, au lieu que faire payer les ménages à  la place des entreprises, ce n'est pas une confiscation. C'est seulement faire payer tous les consommateurs d'information pour que cette information soit la plus complète possible. Y compris pour ceux (et sur ceux...) qui considèrent que payer un franc par jour pour assurer le droit à  l'information, c'est trop demander. Mais qu'investir, au nom des «entreprises», plusieurs millions dans une campagne contre ce franc quotidien est un investissement légitime.
Décidément, comme disait une pub pour des rillettes : «nous n'avons pas les mêmes valeurs»...

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