Des devoirs, des plaisirs...


    
On vous laisse à vos vacances, et on se laisse aux nôtres, pour quelques semaines. Mais les mots sont trompeurs : vacance n'est pas vacuité. Pas forcément. C'est se sortir, si l'on peut, des routines, des pesanteurs, des rites de nos agendas. Et d'entre eux, des routines, des pesanteurs et des rites politiques -de ce dont nos exubérances parlementaires forment l'écume des jours politiques...  Et c'est aussi se libérer de ces conformismes modernistes engluants, de ces progressismes consensuels auxquels ils nous prend de plus en plus souvent l'envie un peu perverse d'opposer de radicales nostalgies -de celles qui n'ont rien à voir avec les "néo-réacs" régressifs qui, parés d'une étiquette d'"incorrection politique" qu'ils se sont eux-mêmes décernée, se pavanent dans tous les media en clamant leur marginalité et l'odieuse censure dont ils seraient les victimes... partons donc à la recherche de ces radicales nostalgies, plus anarchistes que libertaires, qui sont autant de résistances intérieures à la modernité marchande... nos devoirs de vacances nous seront des plaisirs rares...

Il y a, il y a... il y a tout cela... et il y a plus encore... et il y a nous. Et les autres.

On lève donc le pied. Mais si les petits cochons nous ne nous mangent pas, on se retrouvera à la rentrée. La rentrée politique, calée sur la rentrée scolaire. Et elle sera animée. Consistante. Chargée.  

Il y a d'abord, non parce qu'elles seraient en elles-mêmes plus importantes mais parce qu'elles sont à portée immédiate de notre capacité (ou de notre incapacité) à nous mobiliser, les convocations aux urnes, locales et nationales. Si le référendum lancé contre le projet d'extension du musée d'art et d'histoire de Genève aboutit, on entrera dans le vif du sujet et du débat. En espérant (un peu contre toute attente) qu'il portera sur le fond, sur le contenu, sur le projet muséal (le fameux "projet scientifique et culturel") dont le projet d'extension est l'emballage. Cet automne sera aussi une saison d'élections : les fédérales, en Suisse. Avec une gauche qui ne pèse actuellement qu'un tiers des suffrages et des sièges, et que ce rapport de forces condamne à des lutte défensives continuelles, comme si le statu quo sur l'héritage social-démocrate des "trente glorieuses" était une fin en soi... Il y a cette gauche dont il y a déjà quelques lustres l'intellectuel socialiste italien
Paolo Flores d’Arcais disait qu'elle n'était (et n'est toujours pas) "da rinnovare, o da ricostruire, o da ripensare, o da ricomporre, ma da inventare. Radicalmente e dacapo" -si on ne veut pas qu'elle ressemble au PS français d'aujourd'hui... ou à la piètre alternative que prétend lui opposer une "gauche de la gauche" confite en sectarismes impuissants...

Il y a ces enjeux sociaux qu'on n'arrive pas, depuis des lustres, à relever, lors même qu'on en connaît désormais tous les contenus : il y a la toxicomanie, le trafic, la funeste "guerre à la drogue" qui nourrit les mafias à force de négation de ses propres effets, et de ses rodomontades dérisoires (telles celles de la police genevoise et de son Maudet en chef, avant-hier...); il y a la pauvreté, l'exclusion, la marginalité imposée, et les attaques incessantes contre les quelques dispositifs mis en place pour y parer, et contre celles et ceux qui en "bénéficient" encore (toutes et tous des profiteuses et des profiteurs, donc...; il y a ces droits sociaux, et ces institutions fondées pour les assurer, à défendre, à commencer par le système de retraite; il y a ces dispositifs bricolés pour ne déplaire à personne et  qui ne protègent plus celles et ceux qui en ont besoin -l'assurance-maladie, par exemple. Il y a ce projet subversif à promouvoir : le revenu minimum. Il y a le droit au logement, et les instruments qui le garantissent, à défendre.

Il y a ces droits fondamentaux et ces libertés à garantir et à élargir, autant qu'on le peut : la liberté d'expression (jusqu'au droit au blasphème), la liberté de la presse, la liberté d'association, les droits démocratiques (à accorder aux étrangers), le droit de grève, le droit d'asile... Il y a la culture, les espaces culturels, la création, l'expérimentation culturelles, à défendre contre les comptables. Il y a les prisons à fermer et les écoles à ouvrir, comme déjà nous en priait le père Hugo. Il y a les frontières à abattre, et la véritable liberté de circulation, de toutes et tous, partout, à instaurer...

Il y a ces héritages de la modernité d'avant-hier, dont on a si grand-peine à se défaire : le culte de la bagnole et le fétichisme des tours, ce hochet de la médiocrité urbanistique... il y a ces vieux miasmes à dissiper, et ce ventre toujours fécond à éventrer : le racisme, l'antisémitisme, les vertiges purificateurs... il y a cette crétinisation de masse, et les mafias qui en vivent : le sport...

Il y a ces enjeux institutionnels, toujours en retard sur les enjeux sociaux, et qui trahissent des envies de pouvoir plus qu'ils ne révèlent des besoins de réforme : la fameuse "nouvelle répartition des tâches" entre les communes genevoises et le canton, par exemple... ou ces récurrentes "réformes fiscales" qui, systématiquement, obstinément, obsessionnellement, distribuent des cadeaux à ceux qui n'en ont ni besoin ni mérite, et privent les collectivités publiques des moyens nécessaires à leurs tâches les plus essentielles...

Et puis il y a tous les tumultes du monde. Il y a la question palestinienne, qui est aussi la question israélienne. Il y a l'abyssale connerie des intégrismes religieux, et leur dernier avatar exterminateur, le djihadisme, qui sert de prétexte partout (et donc, aussi, en Suisse...) au renforcement de la surveillance policière... il y a la prise de pouvoir politique des instances financières et des multinationales, et leur mépris des peuples, et les rets en lesquels elles enserrent les pouvoirs démocratiquement élus (en Grèce, par exemple) quand ils l'ont été sur des programmes de changement, et de restauration du débat politique...

Voilà. Il y a tout cela, et plus encore, car on en a oublié. Et il y a aussi nos vieux rêves, nos vieilles lunes, notre vieil horizon qu'on n'atteint jamais, qui comme tout horizon recule au fur et à mesure qu'on croit se diriger vers lui : l'abolition de l'Etat, du salariat, de la propriété privée -l'anarchie, en somme... Cela devrait bien suffire à nous occuper pendant une année. Et les année suivantes. Et les lustres qu'il nous reste.  Il va nous en falloir, des forces qu'on n'a pas et qu'on devra trouver, et des armes qu'on n'a plus et qu'on devra réinventer... et cette improbable, insaisissable conjugaison toujours à faire, de nos choix individuels et de nos combats collectifs -de moi et de nous...

Comment disait-il déjà, Debord ? Ah oui : "Rien n'est plus naturel que de considérer toutes choses à  partir de soi, choisi comme centre du monde : on se trouve par là  capable de condamner le monde sans même vouloir entendre ses discours trompeurs. Il faut seulement marquer les limites précises qui bornent nécessairement cette autorité : sa propre place dans le cours du temps, et dans la société; ce qu'on a fait et ce qu'on a connu, ses passions dominantes."

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