Election de Jeremy Corbyn à la tête du Parti travailliste britannique : fin du blairisme ?


Au risque, parfaitement assumé, d'une déperdition électorale, et convaincus qu'il vaut mieux, pour exister politiquement, affirmer ce qu'on est au risque de perdre, que de se perdre soi-même pour ne pas effrayer le "centre", les membres et les sympathisants du Parti Travailliste britannique ont élu triomphalement (au premier tour, avec près de 60 % des suffrages, quarante points devant son plus proche concurrent) Jeremy Corbyn, représentant emblématique de l'aile gauche du parti à leur tête. Toute la "gauche de la gauche" européenne a chaleureusement salué la victoire du "gauchiste" britannique... en oubliant opportunément que ce n'est pas en créant un  nouveau parti, ou en rassemblant dans une coalition fragile, forcément fragile, les morceaux épars d'une "gauche radicale" toujours plus prompte à la division qu'à l'unité, que Jeremy Corbyn et ses partisans ont renforcé cette fameuse "alternative de gauche à la social-démocratie"... mais en prenant la tête de la social-démocratie, au nom de ce qu'elle était et avait renoncé à être pour se liquéfier dans le "social-libéralisme" à la Tony Blair.

"Cap très à gauche" ? Non : retour à gauche, simplement.
       
"Le Labour met le cap très à gauche", titrait hier notre quotidien préféré, à propos de l'élection de Jeremy Corbyn à la tête du Parti travailliste britannique. "Très à gauche" ? Non : à gauche, simplement. Et c'est déjà beaucoup, ce retour à gauche, après des lustres de blairisme. Sans doute Corbyn est-il plus proche de Syriza, de Podemos ou du Front de Gauche que du Pasok, du Psoe ou du PS français. Sans doute Syriza, Podemos et le Front de Gauche ont-ils salué sa victoire : "un pas en avant vers le changement en Europe" pour Podemos, un "message d'espoir" et "une élection historique" renforçant le "front européen contre l'austérité" pour Syriza, "un retour de la gauche réelle au pays de Thatcher et de Blair" pour le Parti de Gauche français... Mais c'est du Labour dont Corbyn a pris la tête, c'est-à-dire de l'héritier, prodigue ou oublieux de son héritage, de l'équivalent britannique de la social-démocratie. Et c'est un programme fondamentalement social-démocrate qu'il propose. Un programme qui puise ses racines dans l'histoire du travaillisme britannique -c'est-à-dire de la social-démocratie. Du passé, Jeremy Corbin ne fait pas table rase mais bon usage.

Hostile au projet d'accord (TTIP) de libre-échange entre l'Europe et les USA, séduit par l'idée d'un "salaire maximum", républicain, partisan de (re)nationalisations, Corbyn a tout pour déplaire à la droite britannique (et à celle de son propre parti). Mais cette droite (les conservateurs) feint, tout en affirmant que "le Labour représente désormais un risque sérieux pour notre sécurité nationale et la bonne santé de notre économie", de se réjouir de son accession à la tête du principal parti d'opposition, et de croire que cela l'assure, elle, d'une victoire aux prochaines élections, face à un parti "trop à gauche" pour séduire les électeurs... sauf que ce n'est pas pour avoir été "trop à gauche" que le parti travailliste s'est pris des gamelles lors des dernières élections, face aux conservateurs (mais aussi aux nationalistes écossais, plus à gauche que lui) mais pour ne pas s'être distancé des conservateurs, ne pas s'être émancipé du "social-libéralisme" blairiste,  qu'il a été abandonné par son propre électorat... et par ses propres militants : la candidate "blairiste" opposée à Corbyn n'a obtenu que moins de 5 % des suffrages de la base travailliste. Et selon un sondage, 52 % des partisans et sympathisants travaillistes préfèrent le risque de perdre les élections à la certitude d'avoir renoncé aux "bons principes". 

Corbyn voit dans la campagne qui l'a porté à la tête de son parti une démonstration d'unité et de résolution. D'unité et de résolution de ses partisans, sans doute -mais l'aile droite n'avale pas sa défaite, et deux des trois autres candidats au leadership travailliste ont annoncé leur refus de... travailler avec lui. Comme de vulgaires conseillers municipaux genevois de droite en face du projet de budget de la Ville de Genève. La droite britannique portraiture Corbin en survivant, en incarnation de l'archaïsme politique, en irréductible passéiste ... sauf que Corbyn n'a pas été élu à la tête du "New Labour" par les anciens d'un "Old Labour" composé de syndicalistes retraités, mais par une nouvelle base militante (le parti a plus que doublé le nombre de ses membres à la faveur de la campagne de Corbyn) formée de milliers de jeunes, et de militants un peu moins jeunes mais engagés, hors du Labour, dans les multiples combats menés contre les conservateurs, tous mobilisés par son discours en rupture avec le conformisme blairiste et son adhésion aux dogmes économiques libéraux. Et par son engagement internationaliste : Le premier geste politique du nouveau leader de la gauche britannique a été samedi, juste après son élection, de se rendre à la grande manifestation de solidarité avec les réfugiés, et en faveur de leur accueil.

Jeremy Corbyn, député d'un quartier populaire de Londres depuis 30 ans, a fait ses comptes : il a voté 533 fois contre les positions de son parti depuis 1997 (on apprécie : il nous reste encore de la marge, et tous les espoirs d'ascension dans l'appareil nous restent donc permis). Il est aujourd'hui le chef de ce parti. Il veut en refaire un  parti de gauche. Refaire du parti travailliste un parti socialiste. On ne sait s'il y parviendra -mais l'enjeu vaut la peine d'être relevé...
Comment dit on "risorgimento", en anglais ?

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