Avec le temps, va...


Le calendrier vulgaire s'est effeuillé, il n'en restera bientôt plus rien. On en portera le deuil en de gaies obsèques.
On boira plus que de raison, on mangera plus que d'estomac.
On offrira des cadeaux à des gens qu'on aime, on en recevra de gens qui nous aiment, on oubliera ceux qu'on n'aime pas et ceux qui ne nous aiment pas.
On pensera à l'une plus qu'à d'autres, et à d'autres qu'on avait oubliées.
On fera provision de livres pour l'année. On relira Rimbaud et Char.
On ne prendra pas de bonnes résolutions. Sauf celle de tenir debout. De n'en faire et n'en dire qu'à notre tête, la pauvre.
On ne fera pas amende honorable.
On se dira que le temps passe, qu'on n'y peut rien, que c'est tout de même mieux comme ça, qu'il passe, le temps, et qu'on n'y puisse rien, mais que, quand même,  le temps est un con, qui ne fait que passer et, passant, nous trépasser.
Changer d'année, de siècle, de millénaire, ce n'est rien. C'est de temps qu'il faudrait changer.
Et si nos réveillons nous réveillaient ?




       

Et avec ça, bonne année quand même... Et prenez votre temps.


Nos calendriers (grégorien, julien, juif, musulman, républicain, solaire ou lunaire, peu importe) ne rythment pas le temps, ni ne le découpent. Ils le mesurent, comme ils peuvent. Et ils ont beau le mesurer en révolutions, celles-ci ne sont qu'astronomiques, de la terre autour du soleil ou de la lune autour de la terre :  le temps qu'ils mesurent est un temps dont la plupart des humains sont dépossédés. C'est cette dépossession du temps qui fait prolétaires toutes celles et tous ceux dont le temps personnel -le temps de vivre, le temps d’aimer, tout le temps dont ils peuvent ou pourraient déterminer eux-même l’affectation- est déterminé par d’autres, et qui ont été ou se sont contraints à céder à ces «autres», dirigeants ou potentats, le pouvoir sur leur temps personnel. Ce pouvoir, ces dirigeants et potentats ne l'ont que parce qu'il leur a été cédé : ils ne sont maîtres du temps de ceux qu'ils dominent que parce ceux-là s'y sont résignés.
Une révolution, aujourd'hui, ne serait rien d’autre qu'un mouvement par lequel les dépossédés du temps en reprendraient possession, et dépossèderaient les maîtres du temps de leur maîtrise -comme une grève est, le temps de sa durée, une soustraction du temps des grévistes à leur employeur. La révolution ne peut plus n'être qu'une prise de pouvoir, elle doit désormais être une prise du temps. Elle ne peut plus se résoudre à un changement du régime de propriété, elle doit être la revendication d’une propriété privée, personnelle, absolue, intransmissible du temps individuel -ou ne pas être. Elle n’est plus un renversement des dirigeants en place, elle est la volonté qu’il n’y ait plus du tout, jamais, de dirigeants du temps personnel des autres.
Nous sommes loin, bien loin, de cette libération-là, lors même que les statistiques nous enseignent que le temps que nous consacrons au travail contraint n'a cessé de se réduire depuis les débuts de la révolution industrielle, et que la sociologie officielle en déduit que nous n'avons jamais eu autant de temps libre depuis que nous avons cessé d'être chasseurs-cueilleurs. Ce temps « libre »  est sous surveillance, cette « liberté » n'est que celle d’une consommation accrue, souvent compulsive, des marchandises, biens ou services, produites par les industries du tourisme, du spectacle et des media, grandes captatrices du temps salarié de leurs travailleurs autant que du temps leurs consommateurs".
« Je ne prétends pas régler et enchaîner l'avenir », se défendait Jean Jaurès -mais comment l'aurait-il pu ? N'étant ni prophètes, ni astrologues, ni porteurs d'une vérité religieuse soustraite par ses prédicateurs à toute confrontation avec la réalité du mode, nous ne sommes même pas comptables du présent puisqu'il n'existe pas, qu'il n'est qu'une convention, le moment impalpable où se rejoignent le passé et l'avenir.
Nous ne prétendons pas régler et enchaîner l'avenir, seulement, peut-être, le rendre possible. Vivable. Meilleur que ce d'où il sort.
Seul le temps nous est compté. Pas nos rêves.

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