Affres budgétaires genevoises : ça référende sec...


Genève, janvier 2016 : La République n'a pas de budget pour 2016 (c'est le seul canton à se retrouver dans cette situation), et si la Commune en a un, il est frappé d'un double référendum de gauche (à propos, vous l'avez signé ?), lancé contre les coupes à la fois mécanistes et hasardeuses opérées par la droite coagulée dans le projet du Conseil administratif. En une heure, le 18 décembre, le Grand Conseil unanime, de l'extrême-droite à la gauche, a renvoyé le projet de budget cantonal à son expéditeur gouvernemental, non sans qu'une majorité de droite (sans le MCG, pour une fois) ait sorti de la loi le système des annuités (les augmentations salariales annuelles de la fonction publique) pour en confier la maîtrise au Conseil d'Etat et ait fait voter (avec le MCG, et contre l'avis du Conseil d'Etat) une loi de "personal stop" bloquant les embauches dans le secteur public :  "pour engager un policier, supprimez un poste d'enseignante"... Là encore, un référendum a été lancé.  Et a abouti.

"Pour engager un policier, supprimez un poste d'enseignante"

Une semaine avant que le Grand Conseil refuse d'entrer en matière sur le projet de budget cantonal, le Conseil Municipal de la Ville de Genève (dont la majorité de droite coagulée avait elle-même, dans un premier temps, refusé d'entrer en matière sur le projet de budget municipal) avait entamé 23 heures de débat (pauses comprises) pour accoucher d'un budget tronçonné, et provoquer le lancement de deux référendums contre les coupes imbéciles effectuées par la droite coagulée dans le projet de budget présenté par le Conseil administratif, alors même que ce projet ne ne soldait par aucun déficit mais était même excédentaire (de 8 millions de francs).

L'offensive budgétaire de la droite est, fondamentalement, la même au Grand Conseil et au Conseil Municipal, et même si le rapport des forces y est différent selon qu'il s'agit du canton ou de la Ville, les exécutifs détiennent le pouvoir réel. En Ville (comme dans toutes les communes), le pouvoir réel est détenu par l'exécutif (et en l’occurrence, il est de gauche) : c'est lui qui a les clés du coffre, et s'il ne décide pas du budget, c'est à lui de le concrétiser, de la manière qu'il choisit. Au plan cantonal, c'est aussi l'Exécutif, le Conseil d'Etat, et là il est de droite, qui décidera de passer au système des "douzièmes provisionnels" (en gros, le dernier budget adopté, mais découpé en tranches mensuelles) pour toute l'année, ou de présenter un nouveau projet de budget -devant le même parlement. Le mécanisme des "douzièmes", s'il est contraignant pour l'administration, ne les paralyse pas -et toutes les coupures budgétaires proposées dans le projet du Conseil d'Etat se trouvent par ce mécanisme même annulées, puisque les "douzièmes" sont basés sur un budget 2015 dont les crédits sont généralement supérieurs à ceux qui étaient proposés pour 2016. La droite se serait-elle donc tirée une balle dans le pied ? Ce serait gênant,  puisqu'il apparaît que c'est par là qu'elle pense en ce moment, tant au Grand Conseil qu'au Conseil Municipal...

Les coupes budgétaires opérée par la droite coagulée du Conseil Municipal (coupes linéaires de 2,5 % sur les fournitures de biens, services et marchandises, de 2 % sur toutes les subventions ou presque, et de 10 % sur les fonds généraux de soutien à la création et à la diffusion culturelles) sont donc attaquée par deux référendums lancés par les partis de gauche (le PS, les Verts et Ensemble à Gauche), les syndicats et une trentaine d'associations. Le monde culturel, en particulier, se mobilise contre les réductions de subventions qui le frappe, et qui s'ajouteront aux coupes budgétaires cantonales qui vont aussi le frapper. Sans parler d'autres mesures procédant de la même obsession comme celle qui consiste à suspendre jusqu'en 2020 (pour leur donner le temps de répéter leur propre requiem ?)  l'intégration de nouvelles écoles de musique à leur association faîtière (la Confédération des écoles genevoises de musique, rythmique, danse et théâtre), intégration qui est une condition pour obtenir une subvention cantonale.
Cela dit, le monde culturel ne sera pas le seul à payer l'intense besoin de la droite municipale de prouver son existence : les subventions aux organisations d'aide et de solidarité sociale aussi sont passées sous son rabot. Et là, comme pour le monde culturel, ce sont les plus précarisés qui seront les premières victimes des coupes budgétaires -dans le champ culturel, les artistes et les lieux alternatifs, émergents, expérimentaux, dans le champ social, les bénéficiaires de l'action d'organismes et d'associations comme le Caré, la Coulou, le Coeur des Grottes... les chômeurs en fin de droit, les travailleurs pauvres, les sdf, les requérants d'asile, les femmes victimes de violences... Et puis, quand la droite exempte le sport et le Grand Théâtre de coupes budgétaires, cela signifie quoi ? qu'après 30 ans d'efforts de ses directions, conseils de fondation et conseiller administratifs de tutelle successifs pour sortir l'Opéra de son ghetto bourgeois, il lui faut y retourner fissa ? Que le sport est, foncièrement, de droite ? Oui, bon, cela, on s'en doutait un peu...

Gérer les moyens (conception de droite, surtout quand on réduit les moyens) ou répondre aux besoins (conception de gauche, avec une priorité accordée aux besoins les plus urgents, des plus démunis) ? "Gouverner, c'est prévoir", nous susurre l'un des plus solides lieux communs du discours politique. Prévoir, pas prophétiser des catastrophes qu'au fond, on souhaite voir survenir -au point de tout faire pour qu'elles surviennent. Les coupes budgétaires, les dispositifs de "frein à l'endettement", le "personal stop" ( "pour engager un policier, supprimez un poste d'enseignante"), ne vont même pas compenser les effets du cadeau annoncé aux entreprises, par la réforme de la fiscalité leur étant appliquée. En revanche, le gel des dépenses de l'Etat, celui des engagements de personnel, celui des subventions aux acteurs sociaux et culturels non institutionnels (et même aux acteurs institutionnels), celui des grands projets culturels, celui des aides individuelles (au logement, à l'assurance-maladie) et des aides sociales, vont frapper directement les couches déjà socialement et économiquement les plus fragiles de la population, et priver des infrastructures et des services nécessaires les "générations futures" au nom desquelles est invoqué rituellement l'impératif de "réduire la dette"... Les économies budgétaires, ce sont des écoles qui vont manquer (ou qui ne seront pas rénovées). Des écoles, pas des prisons puisque là, curieusement, la dépense n'a plus de poids et la dette plus d'importance...

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