Initiative de "mise en oeuvre" : De l'enfumage comme art politique


Pour tenter de convaincre une majorité de votants dans une majorité de cantons de soutenir son initiative de "mise en oeuvre" de l'expulsion automatique des "criminels" étrangers (pour son propre électorat, aucune argumentation n'est nécessaire, il suffit de dire d'un texte qu'il est "contre les étrangers" pour que cet électorat l'approuve...), l'UDC va constamment brouiller les repères légaux, bidouiller les chiffres, dissimuler des faits et en inventer d'autres -bref, mentir comme une arracheuse de dents. Une arracheuse indigène, évidemment, et de dents importées, forcément. Son "tous ménages" de campagne est, dans ce domaine, exemplaire d'une démarche d'enfumage du bon peuple. Une démarche dont l'UDC est d'ailleurs coutumière, dont elle a fait un véritable art politique, et dont on ne peut que constater l'efficacité. Qui, déjà, disait (à raison, semble-t-il) qu'un mensonge répété devient une vérité ?

En attendant une initiative de clarification de l'initiative de mise en oeuvre de l'initiative...

Le 28 février, on va voter sur un texte qu'on devrait enseigner dans tous les instituts de science politique et toutes les écoles de marketing et de communication, pour ce qu'il vaut réellement : un exemple jusqu'à présent inégalé dans ce pays, d'hypocrisie, de mauvaise foi, de traficotage des chiffres, d'ignorance délibérée des principes de l'Etat de droit (l'individualisation et la proportionnalité des peines, le pouvoir d'appréciation des juges, l'égalité devant la loi) et des impératifs légaux (le respect des conventions internationales et des accords internationaux). L'initiative de "mise en oeuvre" atteint quelque part au sublime d'une sorte de monument érigé à la certitude que "le peuple" est au fond majoritairement formés d'imbéciles définitifs et d'analphabètes irrécupérables, à qui on peut tout dire, tout faire croire, pour peu qu'on le dise avec force -et surtout, qu'on le dise des (beuark) étrangers...

Le titre même de l'initiative est mensonger : cela s'appelle initiative "pour le renvoi effectif des étrangers criminels (initiative de mise en œuvre)" ?  : le renvoi ne sera effectif que si le pays dont l'étranger est ressortissant accepte de le reprendre (ce qui n'est généralement pas le cas)... des étrangers "criminels" ? l'initiative propose le renvoi de simples délinquants... initiative "de mise en œuvre" de l'initiative précédente ? On me met pas en œuvre une initiative précédente, on pose un nouveau texte, avec de nouvelles dispositions, une nouvelle liste de délits susceptibles de conduire à une expulsion... une liste que le président de l'UDC, Toni Brunner, dans le journal de campagne de l'UDC, se garde bien de donner in extenso, en se contentant, après quelques exemples de crimes particulièrement graves (et dont les auteurs peuvent déjà être expulsés selon les lois actuelles), d'un "etc..." porteur de menaces indistinctes, mais recouvrant des délits mineurs... On pourrait ainsi expulser une personne née en Suisse, n'ayant jamais vécu ailleurs et n'ayant aucune attache avec le pays dont elle est ressortissante, et l'expulser parce qu'elle aura été condamnée (même une première fois avec sursis) pour deux délits mineurs, même de nature différente, et  relevant plus de l'incivilité que de la délinquance (du genre affichage sauvage et participation à une manif interdite, bagarre dans un bistrot et alcool au volant, fraude à l'assurance et injures...).

"Il devrait aller de soi qu'un étranger respecte les lois de son pays d'accueil", pontifie le "tous ménages" de campagne de l'UDC (Il serait bon aussi que ceux qui prétendent vouloir les changer les lisent et les connaissent). Parce qu'il ne va pas de soi qu'un indigène les respecte, les lois de son pays ? C'est bon à savoir, au cas où nous viendrait, sait-on jamais, quelque pulsion illégaliste... De toute évidence, c'est la seule qualité (ou plutôt le seul défaut, pour ne pas écrire le seul crime) d'être "étranger" qui vaut aux "criminels" (et aux délinquants) étrangers la double peine automatique que propose l'UDC. Tout le reste, tout le solde de l'argumentaire udéciste, constitue précisément la fumée de l'enfumage auquel se livre l'UDC. Les statistiques de "criminalité" produite par le parti à l'appui de son initiative ? Quand on n'y confond pas criminels et délinquants, on y confond, tout aussi volontairement, inculpés et condamnés. Les statistiques pénitentiaires ? On essaie de faire croire qu'on videra les prisons en expulsant les "criminels" étrangers, alors qu'on ne pourra les expulser -si encore on y arrive- qu'après qu'ils aient purgé leur peine en prison -où l'on devra sans doute les réincarcérer pour un retour illégal en Suisse.

Si le 28 février la navrante initiative udéciste devait être acceptée, "le PS devra peut-être lancer une troisième initiative de correction et de clarification de l'initiative de mise en oeuvre de l'initiative sur le renvoi", ironise le chef du groupe parlementaire socialiste, Roger Nordmann. Peut-être, en effet. On aurait ainsi inventé une sorte de mouvement politique perpétuel... un moulin législatif et constitutionnel meulant pour meuler, mais après avoir soigneusement trié le bon grain de l'ivraie, pour ne moudre que l'ivraie.

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