"Panama Papers" : Quai des Brumes Offshore


Au bout du Quai des Brumes de Carné et Prévert, il y a un rade minable où viennent s'échouer solitaires et paumés : un déserteur que suit un chien perdu, un peintre maudit qui malgré lui peint toujours les choses qui sont derrière les choses, une orpheline autour de qui rôdent quelques malfaisants. Ce rade, c'est celui de "Panama". Un rescapé d'on ne sait trop quoi, et de quelques fièvres reçues des bords du canal. Dans les pages de nos quotidiens, depuis hier, et pendant plusieurs jours encore, il y a un rapport sur 11 millions et demi de documents qui comme le peintre maudit, dépeignent les choses qui sont derrière les choses. Le fric qui est derrière les sociétés "offshore" et les potentats qui sont derrière ce fric. Et la Suisse, et Genève, qui sont au coeur de ce système. Dans le rade de "Panama", venaient s'échouer solitaires et paumés. Dans les "Panama Papers", on trouve des puissants, des célèbres, des bourrés de pognon, laissant les autres, les modestes, ceux qui ne peuvent se payer ni société "offshore" ni avocats d'affaire, payer à leur place les impôts auxquels ils échappent. Le "Quai des Brumes" pouvait faire pleurer. Les "Panama Papers" font vomir.

"T'as de beaux fonds, tu sais"... "Accueillez-moi"...

C'est, nous dit-on, "la plus grosse fuite de l'histoire" : 376 journalistes ont analysé 2600 gigabytes de documents transmis à la "Süddeutsche Zeitung" et partagés avec 106 autres media du monde entier,  provenant d'une firme panaméenne, spécialisée dans la création et la domiciliation de sociétés écrans dans des paradis fiscaux : Mossack Fonseca (du nom de ses fondateurs), qui a une succursale à Genève. Depuis sa fondation, Mossack Fonseca a administré 214'000 entités diverses, dont 37'000 sont encore en activité. Dans la longue liste des bénéficiaires de ses services, on trouve de tout : 12 chefs d'Etat en exercice (dont le président argentin et le roi d'Arabie Saoudite) et anciens chefs d'Etat, 61 membres de la famille de chefs ou anciens chefs de gouvernement, huit ministres ou anciens ministres, le Premier ministre islandais Sigmundur David Gunnlaugsson, qui possédait avec sa femme une société offshore aux îles Vierges britanniques (sur le web et dans la rue, la société islandaise exprime sa colère et demande son départ, et une pétition lui demandant de démissionner a recueilli plus de 27 000 signatures en un jour, dans un pays de 332 000 habitants)... Les "Panama Papers" dévoilent aussi des noms de proches de dirigeants politiques, dont un proche de Vladimir Poutine (un violoncelliste qui, apparemment, avait aussi une grosse caisse), de vedettes "people", de sportifs (comme Lionel Messi) et anciens sportifs (comme Michel Platini), de militaires, de juges, d'avocats, d'hommes d'affaires (on n'a pas la liste complète des personnes impliquées, mais on se permet de supposer qu'elle contient aussi les noms de femmes d'affaire, soyons égalitaires)
C'est très pratique, une société écran, quand on a les moyens de se la faire créer et gérer par des officines du genre Mossack Fonseca : ça permet, en dissimulant son nom, de dissimuler son pognon,  de soustraire fortune et revenus au fisc (les salariés lambdas paieront les impôts que les potentats, les vedettes et les richards se seront arrangés pour ne pas payer, et les populations précarisées se serreront encore un peu plus la ceinture quand les collectivités publiques victimes d'évasion fiscale devront réduire leurs budgets d'aide sociale). Mais ça permet aussi de blanchir l'argent des trafics de drogue et d'armes et de l'exploitation sexuelle, de financer le terrorisme, de planquer les moyens de corrompre et les pots-de-vins des corrompus.
C'est très pratique, et c'est légal, nous assurent les porte-paroles de Mossack Fonseca, à Genève (où l'officine à une succursale et emploie une dizaine de personnes) et au Panama. Eh oui, à Genève : pourquoi n'est-on pas surpris de voir le nom de notre capitale mondiale du monde mondial apparaître dans la mise en lumière du trafic mondial du fric mondial ? Parce qu'on aurait été surpris de ne pas l'y voir apparaître. Et de ne pas y voir apparaître les noms de 1500 résidents suisses et de 500 fiduciaires, cabinets d'avocats et banques de notre beau et honnête pays. Où ont été créées plus de 5000 des 37'000 sociétés encore en activité du système Mossack Fonseca...
Mais tout cela est légal, donc. Créer une société bidon pour soustraire des millions, voire des milliards aux impôts, blanchir le produit d'actes criminels, en financer d'autres, acheter des dirigeants politiques, c'est légal dans le pays où ces sociétés sont crées. Et servir d'intermédiaire pour l'utilisation de ces sociétés, c'est légal en Suisse.
Que demander de plus ? Que ce soit éthiquement politiquement légitime ? Et puis quoi encore ? Qu'est-ce que l'éthique ou la politique viennent faire la-dedans ? Il s'agit de pognon, et de rien d'autre. De beaucoup de pognon, certes, mais justement... Too Big to fail, too rich to jail...
Souvenez-vous en, quand les foudres de la loi s'abattront sur vous, ou sur un parent, ou un ami, qui aura omis de déclarer quelques centaines de francs de revenus, ou aura touché une indemnité maladie, chômage, accident, plus longtemps que de droit : vous, vous êtes too little to escape...

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