Revenu de base inconditionnel : Débat nourri à gauche


A deux contre un, les socialistes suisses, réunis en Assemblée des délégués, ont décidé d'appeler à voter "non" le 5 juin à l'initiative pour un revenu de base inconditionnel. Ce mot d'ordre (dont on fera ce qu'on veut, d'autant que le PS genevois a, lui, appelé, à la quasi unanimité d'une assemblée générale, à voter "oui" au RBI, et que le Conseil communal de Lausanne a demandé à la Municipalité d'étudier la mise en place d'une "expérience pilote" de RBI) n'est pas franchement une surprise, et on peut même être assez satisfait qu'un tiers des délégués du  PSS soutiennent une initiative qui remet radicalement en cause quelques solides réflexes socialistes (ou du moins sociaux-démocrates) et syndicaux. A gauche, d'ailleurs, le débat est nourri, d'attentes autant que de craintes : ainsi, dans "Gauche Hebdo" du 1er avril, Jean-Marie Meilland reprochait au revenu de base inconditionnel de n'être qu'une forme de "légalisation résignée d'une société à deux vitesses". Comme si on en était encore à une "société à deux vitesses" et qu'elle avait besoin d'être "légalisée"... de "vitesses", la société actuelle en a quatre, et bien lourdement légalisées : la vitesse des maîtres du monde (ceux qui dirigent la société et la conduisent), la vitesse de la classe dominante (celle qui, sans forcément diriger ni conduire la société, arrive aisément à suivre son cours), la vitesse des classes dominées (celles qui rament pour suivre, sans y arriver) et la vitesse, qui n'en est même plus une, des largués, des marginaux, des exclus. Rien que pour ceux-là et celles-là, de plus en plus nombreux, laissés pour compte du travail, du salariat et du filet social, et pour qui, tout de même, la gauche est supposée se battre, un RBI s'imposerait...

«  Nous voulons que les idées redeviennent dangereuses »

Au Conseil national, l'initiative pour l'instauration d'un RBI avait été balayée par 146 voix contre 14 (issues du PS et des Verts). Au nom du Conseil fédéral, le socialiste Alain Berset a également appelé, comme on s'y attendait, à la refuser, en ces termes : "C'était intéressant de débattre sur la vision de la société, mais cette fois, c'est du sérieux", on doit voter pour ou contre. "Débattre sur la vision de la société", ce n'est donc pas sérieux. Mais au fond, il a raison, Berset : le RBI, "c'est du sérieux". D'ailleurs, c'est bien un  UDC qui a qualifié l'initiative de "proposition la plus dangereuse" depuis l'introduction du droit d'initiative, il y a 115 ans. C'est dire si elle vaut la peine d'être soutenue. En effet, avec le RBI, on n'est pas dans un projet de réforme, mais dans la première étape vers une société égalitaire (ce qui justifie d'ailleurs, quant au principe, qu'il ne soit pas versé seulement à celles et ceux qui en ont besoin, mais à tout le monde -comme l'AVS), la démocratie économique et une remise en cause fondamentale du rapport avec le travail, et du rapport entre le travail et le revenu. Et donc d'une remise en cause des rapports de production, pour causer marxien dans le texte. C'est une mesure parmi d'autres, mais c'est la première. Le premier pas. Celui qu'il faut faire pour prendre la route. D'autres pas doivent suivre, dont la réduction massive et le partage général du temps de travail (puisque le RBI ne supprime évidemment pas le travail).

Le RBI n'est certes pas à lui seul un projet de société, mais il en exprime un. Qui reste à (re)définir. "Re", puisqu'il a déjà été défini (cela s'appelle le socialisme), mais qu'il faut le conjuguer aux évolutions sociales, scientifiques, technologiques considérables survenues depuis le temps des pères fondateurs -le temps de la révolution industrielle- et des expériences, presque toutes malheureuses, de "réalisation du socialisme" survenues depuis.  La socialisation des moyens de production ne suffit pas à libérer les producteurs... et moins encore à libérer les productrices.

«  Nous voulons que les idées redeviennent dangereuses » proclamait il y a cinquante ans l'Internationale Situationniste. Le revenu de base inconditionnel n'est-il pas précisément l'une de ces idées dangereuses ? Ne serait-ce que pour cette qualité, de plus en plus rare (mais il en a d'autres), il mériterait notre soutien.

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