150ème anniversaire du premier congrès de l'Internationale

Naissance (et renaissance ?) de l'internationalisme





Il y a 150 ans naissait à Genève le mouvement ouvrier international :  du 3 au 8septembre 1866 s'est tenu aux Eaux-.Vives, à la Brasserie Treiber, le premier Congrès de l'Association Internationale des Travailleurs, fondée deux ans plus tôt. La "Première Internationale". Ou l'Internationale tout court et tout simplement -les suivantes, la Deuxième (social-démocrate), la Troisième (communiste), les Quatrièmes (marxistes révolutionnaires -trotskystes, quoi) n'étant au fond que des surgeons, ou des héritières (et des héritières ingrates et traîtresses) de cette Première, unique en son genre et en ses ambitions, et en tout cas fondatrice. Sa naissance sera commémorée ce soir jeudi, à l'Université Ouvrière, (place des Grottes) à 18 heures 30. On commémorera, donc*. Plus discrètement qu'en 1866, pour le centenaire. On commémorera et on se souviendra. Et si on s'inspirait ?


JEUDI 29 SEPTEMBRE, GENEVE *Quel internationalisme ouvrier pour le XXIe siècle ? Commémoration du Premier Congrès de l'Association Internationale des Travailleurs (1ère Internationale), avec Marc Vuilleumier, Marianne Enckell, Bernard Thibault, Julia Gousseva
Université Ouvrière, place des Grottes, 18 heures 30


"La libération des travailleurs sera l'oeuvre des travailleurs eux-mêmes"

L'Internationale naissante, c'est d'abord ce constat : depuis la victoire de la révolution bourgeoise, plus aucune révolution n’a vaincu. Et la naissance de l'internationalisme va changer la mesure même de la victoire ou de la défaite de la révolution : il s’agissait en 1789 de renverser le pouvoir d’une classe, et les institutions qui matérialisaient ce pouvoir, pour lui substituer le pouvoir d’une autre classe, avec les institutions le matérialisant. Avec la fondation de l'Internationale, il ne s’agit plus de substituer une classe à une autre, d’installer un pouvoir à la place d’un autre, mais d’abolir les classes, et de se passer des pouvoirs.

Sans doute l'organisation politique du mouvement ouvrier prend-elle place dans la continuité des révolutions du milieu du siècle, elles-mêmes se plaçant dans la continuité de la Révolution française, mais, même si des "radicaux", c'est-à-dire des représentants de la gauche de l'époque, sont aussi membres des sections locales de l'AIT (comme Jacques Grosselin, à Genève, où le premier parti socialiste est créé trois ans après le premier congrès de l'Internationale, par des ouvriers suisses, des membres du parti radical, et des révolutionnaires étrangers réfugiés à Genève, donc Bakounine). le fait même que se créée une organisation internationale ne se revendiquant plus du "peuple" en général mais de la seule classe ouvrière, posant celle-ci comme la grande -la seule grande- force émancipatrice, celle qui poursuivra et achèvera l'oeuvre des révolutions passées, est une rupture : on veut abolir les classes et, en émancipant les travailleurs, émanciper l'ensemble de la société, et tous les sociétaires.

C'est parce que le prolétariat est tout en bas de la hiérarchie sociale que sa libération libérera aussi tout ce qui est au-dessus de lui, jusqu'à la bourgeoisie elle-même. Et il ne peut le faire qu'à une échelle internationale : il n'y a pas de libération possible des travailleurs dans un seul pays -si cette libération doit bien commencer quelque part, elle ne peut aboutir que partout -ou nulle part. L'internationalisme naît de là : non d'un cosmopolitisme béat ou d'un mondialisme idéaliste, mais de ce constat d'évidence : la frontière ne protège pas, elle enferme et, enfermant les luttes, les sépare et les condamne à la défaite.

Cinq ans après le congrès de Genève qui jetait les bases de la première organisation ouvrière internationale, réunissant. pour le temps de sa vie à elle (quoiqu'elle se survécût par les anarchistes, notamment en Suisse avec la Fédération Jurassienne et en Espagne avec la CNT et la FAI), la Commune de Paris tentait la première révolution socialiste de l'histoire. Noyée dans le sang versé par la IIIe République naissante, avec la connivence de l'envahisseur prussien, mais devenue référence d'autant plus légitime qu'elle avait été défaite, et que le sang qu'elle pouvait avoir sur les mains était son sang à elle : ainsi honore-t-on les martyrs. La Commune de Paris, c'est l'apprentissage du feu révolutionnaire par l'Internationale -il n'y avait pas qu'elle dans les rangs des communards, mais c'est bien entre elle et la Commune que se fait le lien historique du discours et de la pratique, de l'organisation d'un mouvement à l'entrée de ce mouvement dans l'histoire : la Commune, c'est l'Internationale en actes, et son programme, un programme toujours aussi révolutionnaire qu'il y a bientôt un siècle et demi : élection des fonctionnaires, droit populaire de révocation des élus..., quelle organisation, se dît-elle révolutionnaire, quel parti politique, se dît-il socialiste ou communiste, le revendique et le propose réellement aujourd'hui ? Il y a cinquante ans, en 1866, on avait déjà commémoré la naissance genevoise de l'Internationale, et on l'avait fait à grand frais politiques : des centaines de délégués syndicaux et politiques, dont les socialistes André Chavanne et Hans-Peter Tschudi, avaient célébré à la fois l'Internationale, et leur propre filiation de cet glorieux, et pourtant si faible ancêtre.

La filiation de l'AIT ? Les Internationales qui lui ont succédé, et qu'il a fallu numéroter (la deuxième, social-démocrate, les troisième et quatrième, communistes, les syndicales) ne l'ont assumé que symboliquement : politiquement, elles sont tout autres. La Première Internationale a de nombreux héritiers, mais amnésiques. Pour le moins. Elle avait proclamé que "la libération des travailleurs sera l'oeuvre des travailleurs eux-mêmes" -mais seuls les anarchistes ont été fidèles à cette conviction : les sociaux-démocrates ont voulu croire que la libération des travailleurs pouvait être l'oeuvre de l'Etat, les communistes l'oeuvre du parti.

L'Internationale a 150 ans. Et l'internationalisme ? Et la révolution ? Il n’est pas de révolution possible sans que le mouvement révolutionnaire n’ait d’abord aboli, pour lui et en lui, les normes, les règles et les hiérarchies qu’il veut abolir dans la société. Il n’y a pas de mouvement révolutionnaire hiérarchisé concevable ; pas de révolutionnaires professionnels supportables ; pas d’avant-garde légitime. La première chose que la révolution révolutionne est le mouvement révolutionnaire lui-même.
Le mot d’ordre révolutionnaire est Tout ou rien -un peu, ce n’est toujours rien.


JEUDI 29 SEPTEMBRE, GENEVE
Quel internationalisme ouvrier pour le XXIe siècle ?
Commémoration du Premier Congrès de l'Association Internationale des Travailleurs (1ère Internationale), avec Marc Vuilleumier, Marianne Enckell, Bernard Thibault, Julia Gousseva
Université Ouvrière, place des Grottes, 18 heures 30

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