Après nous, le déluge ?


   
Mon confort, ma planète

De tous les textes soumis au vote populaire dimanche prochain, l'initiative des Verts pour une "économie verte" est sans conteste le plus ambitieux. Mais ce n'est pourtant pas lui qui fait le plus débat : l'initiative syndicale "AVS+", sa défense, sa contestation, prend plus de place dans les media, suscite une controverse plus mobilisatrice. Il est vrai qu'elle repose sur une perception plus aigüe de l'urgence sociale -mais un débat largement relayé n'est pas forcément voué à en éclipser un autre, ni une urgence sociale à reléguer une urgence environnementale. Comme toute la gauche, nous soutenons les deux initiatives en lice : celle pour une assurance vieillesse qui respecte le mandat constitutionnel d'assurer un revenu suffisant pour vivre dignement sans aide sociale, et celle pour une économie qui ne salope et ne bousille pas l'environnement planétaire sur lequel, forcément, elle repose puisqu il n'y a pas d'autre à sa disposition -et à la nôtre. Face à cette initiative-là, celle des Verts, le discours des tenants du statu quo (plus ou moins fardé de bonnes intentions) est simple : on fait déjà tout ce qu'on peut, l'initiative menace notre confort, elle est donc à refuser. Parce que notre confort passe avant notre planète. Après nous (nos consommations, nos modes de vie, nos privilèges), le déluge. Pour les autres. Les pauvres, et les générations futures.


"On ne se défend qu'au présent : l'inacceptable n'est pas relatif" (Michel Foucault)

L'initiative des Verts fait référence à l'"empreinte écologique", c'est-à-dire au résultat d'une conversion des ressources naturelles utilisées par un espace donné (un Etat, ou la planète) en superficie nécessaire pour produire ces ressources naturelles en permettant leur renouvellement (c'est ainsi que, par exemple, la consommation de viande est convertie en surfaces nécessaires pour la production de la viande consommée -et on en consomme beaucoup...). Selon ce calcul, la Suisse consomme actuellement trois plus que son territoire peut le permettre (74 % de l'empreinte écologique de la Suisse étant la conséquence de notre consommation d'énergie fossile et de nos rejets de carbone, consommation en grande partie due à l'utilisation des voitures, des camions, des machines agricoles, des bâtiments et des usines, et en grande partie aussi permise par des importations). Ce concept d'"empreinte écologique" n'est certes pas le seul qui permette de mesurer les conséquences de l'activité humaine et de ses modes de production et de consommation, mais il a le mérite de la clarté -et c'est parce qu'il a ce mérite qu'il est contesté, comme est contesté, souvent par les mêmes, le déréglement climatique et la responsabilité humaine dans ce déréglement.  Or ceux que l'on désigne, poliment, comme des "climatosceptiques", et qui se désignent eux-mêmes comme des "climatoréalistes", ne sont en fait que des "climatonégationnistes", et ne sont finalement que l'expression de forces plus profondes et plus puissantes : ainsi, en France, le "collectif des climato-réalistes" regroupe des cercles libéraux (au sens purement économique du qualificatif "libéral"), des associations proches du secteur des énergies fossiles, et quelques scientifiques, mais de domaines éloignés de la climatologie. Aux USA, le climatonégationnisme, de vingt ans plus ancien que ses surgeons européens, est lui aussi étroitement lié aux milieux à la fois les plus conservateurs socialement et les plus libéraux économiquement. Et partout où ils sévissent, ceux qui nient d'abord le réchauffement climatique, puis, lorsqu'ils finissent par l'admettre, la responsabilité des activités humaines et la responsabilité du modèle économique dominant dans ce bouleversement, s'en font au moins les complices.

Alors que l'initiative pour une "économie verte" ne prescrit aucune limitation autoritaire de la consommation individuelle, ses opposants invoquent pour la combattre la mise en cause du mode de vie, du confort, des habitudes de consommation des Suisses, lesquels seraient parfaitement innocents des atteintes à l'environnement planétaire, et seraient même des exemples de comportement responsable, qu'il serait injuste de punir en leur imposant des restrictions.
Les Verts veulent "trop, trop vite", plaide, pour le refus de leur initiative, la Conseillère fédérale Doris Leuthard. Trop ? Les solutions qu'elle préconise sont déjà applicables, et sont déjà un marché
, sur lequel des entreprises nouvelles ne cessent de se créer. Trop vite ? Le saccage de l'environnement va plus vite encore. Il est donc urgent de l'entraver, d'abord, et de le stopper, ensuite. L'initiative verte y concourt -certes, en ne s'appliquant qu'à la Suisse, mais, outre que la part considérable des importations dans ce que la Suisse consomme donne à toute mesure prise en Suisse une importance qui dépasse celle de la Suisse elle-même,  il faut bien commencer quelque part : à attendre que tout le monde soit d'accord de changer de mode de production et de consommation, on risque d'attendre jusqu'à ce qu'il soit trop tard. L'agression de l'environnement par nos modes de vie impose une résistance, ici et maintenant :"On ne se défend qu'au présent : l'inacceptable n'est pas relatif" (Michel Foucault)

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