Réformes fédérale et cantonale de l'imposition des entreprises : On passe aux choses sérieuses...


"La mère de toutes les batailles" : reprenant l'expression utilisée par Saddam Hussein pour qualifier sa guerre (perdue) contre les Etats-Unis et leurs alliés, le président du Conseil d'Etat genevois l'a utilisée pour qualifier l'enjeu du projet gouvernemental de réforme de l'imposition des entreprises (RIE III), c'est-à-dire du volet genevois de la réforme fédérale. Un projet gouvernemental qui sera d'abord soumis au Grand Conseil, puis au peuple, référendum oblige (et s'agissant essentiellement de lois fiscales, il suffit de 500 signatures pour ce référendum). Le projet genevois est d'imposer toutes les entreprises au taux unique de 13,49 %, soit 0,3 % de moins que le taux adopté par les Vaudois -quoi que s'en récrie le Conseil d'Etat, on est bien dans la concurrence fiscale entre cantons. Pur les caisses publiques cantonale et municipales genevoises, ce taux correspond à une perte brute de ressources de 570 millions de francs (dont 111 millions pour les communes), ramenée à une perte nette de 440 millions grâce à une compensation fédérale et à diverses mesures cantonales. Genève a-t-elle les moyens de se priver de 440 millions de recettes fiscales ? Son gouvernement, incapable de maintenir le financement nécessaires aux services publics, s'en dit persuadé. La "mère de toutes les batailles" commence comme toutes les batailles, par faire une première victime : la vérité...

Les droits fondamentaux, figurez-vous que les rendre effectifs, cela coûte...

La "réforme de l'imposition des entreprises" mitonnée par les Chambres fédérales va leur offrir chaque année, aux entreprises entre, et au moins, deux et trois milliards de francs.  La droite ne s'est pas contentée de ce qui était demandé (par l'Europe, ce qui n'a d'ailleurs pas indigné l'UDC, si prompte à dénoncer les "diktats de Bruxelles), c'est-à-dire d'égaliser les taux d'imposition des entreprises suisses et étrangères établies en Suisse : elle a instrumentalisé cette exigence pour distribuer à pleine brassée des cadeaux aux entreprises : allégements fiscaux pour les brevets, déductibilité des "intérêts notionnels" (les intérêts fictifs qu'auraient rapporté des fonds qui auraient pu être placés, mais ne l'ont pas été, sur les marchés financiers) , baisse de l'imposition du capital et des holdings. Et ce n'est pas fini : si la RIE III, soutenue par toute la droite (et l'extrême-droite) et les organisations patronales, est acceptée par le peuple (puisqu'il sera consulté, la gauche ayant lancé le référendum), d'autres mesures de sous-enchère fiscale seront à l'ordre du jour : taxe forfaitaire au tonnage, exemptions du droit de timbre... A votre avis, sagaces lecteurs, qui va payer ces cadeaux offerts, en puisant dans les caisses publiques fédérale, cantonales et municipales, aux plus grosses entreprises du pays ? Et à votre avis éclairé, cohérents élus et militants de gauche, comment pourrait-on  ne pas s'opposer à un tel dispositif, au plan suisse comme au plan cantonal genevois ?

Si le cadre général de la réforme RIE III, imposée par l'Union européenne, est de la compétence fédérale, le taux d'imposition des bénéfices des entreprises de la compétence cantonale. Au départ, on caressait l'espoir d'une réforme fédérale sans pertes fiscales, avec un taux unique d'imposition de 16 %.  A l'arrivée, la réforme telle que l'a concoctée la majorité de droite du parlement fédéral aboutit à un trou d'au moins 1,3 milliard pour la seule Confédération. S'y ajoutent, pour les cantons, des pertes fiscales au moins équivalentes, et dépassant probablement les deux milliards, selon les taux que décideront les cantons, puisque ce sont eux qui les fixeront (Neuchâtel a fixé le sien à 15,6 %, Vaud à 13,79 %, le Conseil d'Etat genevois propose 13,49 %. Aux pertes dans les ressources fiscales fédérales et cantonales s'ajoutent encore celles pour les villes et les autres communes : encore au moins un milliard. Au total, la profondeur du trou va mesurer dans les cinq milliards, voire plus, puisque le Parlement fédéral a voté une réforme fiscale sans en connaître l'impact réel...

A Genève, le Conseil d'Etat nous ressort la vieille antienne libérale, et nous fredonne que les baisses fiscales produisent des investissements, des emplois et de la consommation supplémentaires, et au final des ressources fiscales nouvelles. Or on mesure l'inanité de cette espérance à Genève même, par la perte d'un milliard de ressources fiscales annuelles du fait précisément des cadeaux fiscaux déjà largement distribués depuis des années. Et on peut aussi mesurer d'expérience l'incrédibilité des assurances données par le même Conseil d'Etat que la perte supplémentaire de ressources fiscales qui serait induite par sa propre proposition de RIE III n'entraînerait aucune réduction de prestations, quand dans des secteurs aussi stratégiques que les hôpitaux publics, l'école ou les transports publics, les ressources allouées pour les prestations offertes sont déjà gelées alors que les besoins augmentent. Ce n'est pas par fétichisme fiscal que la gauche doit s'opposer, au plan cantonal genevois comme au plan fédéral, à la RIE III, c'est par volonté de défendre, précisément, les prestations du secteur public à la population. Parce que ce secteur et ces prestations garantissent la réalité de droits proclamés dans tous les textes fondamentaux de cette Confédération et de cette République. Les droits à l'éducation, à la santé, à la sécurité, à la mobilité, eh oui, figurez-vous que les rendre effectifs, cela coûte. Et que quand on réduit les ressources à disposition de la concrétisation de ces droits, c'est bien cette concrétisation qui est en jeu. Et c'est bien en s'opposant au projet du gouvernement genevois qu'on peut, dans l'immédiat, éviter de dégrader encore un peu plus la situation des services publics essentiels, et les conditions de travail de ceux qui y oeuvrent.

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