Election de Trump : "révolution conservatrice" ou arnaque politique du siècle ?


Donald Trump sera donc élu président des Etats-Unis, mais contre la majorité du peuple votant. Avec un million de suffrages en moins que son adversaire démocrate. Si les citoyennes et citoyens des Etats-Unis d'Amérique élisaient leur présidence au suffrage universel direct. c'est une présidente qu'ils auraient élue. Ils ne s'en retrouveront pas moins avec Trump. Beautés des élections indirectes... Cela dit, comme le relevait Daniel Warner dans "Migros Magazine" (on a de bonnes lectures), "Il y a toujours une grande différence entre un candidat et un gagnant. Pendant la campagne, les candidats doivent répondre aux caprices du public. Une fois en poste, ils deviennent plus réalistes". La paradoxale (si paradoxale qu'elle est impssible) "révolution conservatrice" que l'élection probable de Trump annoncerait (comme d'ailleurs, à sa manière, le succès de François Fillon aux "primaires" de la droite française, hier) pourrait bien être surtout l'arnaque du siècle. Il est vrai que si la carrière de Trump laisse placer un gros doute sur ses compétences de chef d'Etat, elle n'y laisse en revanche aucune place s'agissant de ses talents d'aigrefin.

l'innombrable et pluraliste cohorte des cocus de l'histoire : Aucun camp politique ne s'y retrouve seul longtemps...


D'aucuns ont cru bon de saluer dans l'élection de Trump le signe d'une "révolution conservatrice" (elle est "en marche", jubile Le Journaliste dans l'hebdo gratuit genevois "GHI"). Une "révolution conservatrice" ? L'oxymore est plaisant, mais le concept est absurde. Par définition, le conservatisme veut maintenir (conserver) ce qui est. Et que par définition, la révolution bouleverse. Elle le bouleverse en marche arrière ou en marche avant, mais elle le bouleverse. Elle rompt avec l'ordre existant. Une révolution peut être réactionnaire, elle ne peut être conservatrice. Toute révolution contient d'ailleurs quelque chose de réactionnaire, quelque chose d'une volonté de retrouver ce qui a été perdu, quelque chose d'un ordre passé (quitte à le mythifier), mais elle ne peut être conservatrice. La révolution française était réactionnaire dans son tropisme romain, la révolution anglaise (et la révolution américaine) l'était par la Bible, la révolution russe l'était dans sa nostalgie du mir et de l'obtschina. Et de quelle "révolution" (conservatrice ou non) parle-t-on à propos de Trump ? Ce que dit son succès (même si il a obtenu sur son nom et pour ses "grands électeurs" un million de suffrages en moins que son adversaire), mais aussi ce que dit le succès de Bernie Sanders (trahi, lui, par l'appareil du parti démocrate), c'est surtout le refus, jusqu'à la détestation, des compromis et des compromissions politiques. Que ce refus se soit traduit par le soutien à un personnage aussi compromis que lui dans tout ce qu'il dénonçait rhétoriquement n'est au fond qu'une de ces manifestation d'ironie dont l'histoire nous gave -mais il faut bien y voir précisément le prix, ou la rançon, des compromis, des compromissions et des connivences des dirigeants du parti démocrate. Quant à la gauche, ce n'est pas par Trump qu'elle a été défaite mais par Hillary Clinton et l'appareil du parti démocrate, qui a tout fait pour que Bernie Sanders ne soit pas le candidat du parti. Précisément parce qu'il était à gauche, lui... Hillary Clinton était la candidate des grandes multinationales et de Wall Street -et la première surprise passée, la bourse a salué par une hausse la victoire du milliardaire. Logique : la victoire de Trump ne sonne pas la "fin de l'establishment", mais son renouvellement. Notamment par la promotion dans l'équipe présidentielle de représentants de la droite fondamentaliste, conspirationniste, voire franchement raciste, jusqu'à être parfois carrément antisémite : Un Steve Bannon est parfaitement représentatif de ce marigot que l'élection de Trump élève au statut de vivier d'un nouvel establishment. D'une nouvelle "élite", formée de gens qui jouaient à vilipender l'"élite" -mais pour en être.

C'est quoi, l'"establishment" ? C'est la caste gouvernante. Elle est formée de quoi, de qui ? Du président et de ses conseillers et des conseillers de ses conseillers; du gouvernement, des conseillers des ministres et des conseillers des conseillers des ministres; du Congrès et des conseillers des congressistes; de la Chambre des Représentants et des conseillers des Représentants; des Juges fédéraux; des gouverneurs des Etats et des maires des grandes villes. Et de tout le petit monde qui gravite autour de ce grand monde. Et des dirigeants des grandes entreprises. Donc Trump faisait déjà partie. L'élection de Trump ne va pas abolir les composantes de cette caste : il y aura toujours un gouvernement, des ministres, des conseillers, des juges fédéraux, des congressistes, des représentants, des gouverneurs et des maires. Les unes et les uns seront nouveaux, d'autres seront d'anciens restés à leurs postes : le "système des dépouilles" ne fait pas table rase, il renouvelle le couvert. Et il y a toujours 40 % de parlementaires démocrates. Et toujours plus d'un tiers d'Etats (sans jeu de mot) gouvernés par un-e démocrate. Et une majorité d'électrices et d'électeurs qui ont soutenu Hillary Clinton. Et puis, le président des USA n'est pas omnipotent, ni, non plus, le pouvoir fédéral : le gouverneur d'un Etat tenu par des Démocrates a plus de pouvoir dans son Etat, et un maire Démocrate dans sa ville, qu'un ministre fédéral... D'ailleurs, plus de 200 Maires et conseils municipaux démocrates ont proclamé leurs villes "villes sanctuaires", et décidé de protéger "leurs" immigrants illégaux des expulsions décidées par le gouvernement fédéral : elles ne préviendront pas les services de l'immigration lorsqu'un clandestin est arrêté pour un délit mineur, et pourront même interdire expressément à leurs policiers de demander à toute personne interpellée quel est son statut migratoire (le chef de la police de Los Angeles a assuré que ses agentes n'aideraient pas le gouvernement fédéral à renvoyer les clandestins qui n'auraient pas commis d'autre délit que d'être clandestins). "Vous êtes en sécurité à Chicago", a lancé aux immigrants de sa ville le Maire de Chicago.  Et après que Trump ait menacé de couper les subventions fédérales aux villes qui refuseraient de le suivre dans sa politique d'expulsions massives de "sans-papiers", le maire de San Francisco a répondu que cela ne changerait rien au choix de sa ville d'être une "ville refuge".

Quant au programme de Trump, ou plutôt aux promesses qui en ont tenu lieu pendant la campagne électorale, il y a fort à parier qu'il n'en tiendra pas beaucoup : si Trump nous fait assez irrésistiblement penser au personnage du "gros con* de Reiser, il est en effet fort loin d'être un imbécile, et il était sans aucun doute le premier à ne pas croire un mot de ce qu'il éructait. Notre optimisme foncier nous pousse ainsi à penser que les extrêmes-droites, les identitaires, les tribalistes, les "nationalistes" (ceux qui confondent la nation et l'ethnie) et les fétichistes de la frontière qui ont fêté l'élection de Donald Duc ( «Avec Trump, les Américains de souche avaient la possibilité d’être majoritaires» a ainsi groinké Jean-Marie Le Pen... Euh... les "Américains de souche"... les Cheyennes ?), se retrouveront noyés, avec ses électeurs de l'"Amérique blanche d'en-bas", dans l'innombrable cohorte, fort pluraliste quant à sa composition politique (la gauche et la droite s'y cotoient), des cocus de l'histoire. Aucun camp politique ne s'y retrouve seul longtemps...

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