RIE III : désolés, "la gauche bouge encore"



Etre majoritaires, absolument

Titre de l'édito du "Temps"de jeudi dernier, à propos de la montée du "non" à la RIE III dans les sondages : "RIE III : la gauche bouge encore". On est désolés de faire de la peine au "Temps" (mais on le remercie quand même : l'édito n'était pas signé "éditorialiste masqué"), mais oui, "la gauche bouge encore" : elle (le PS en tête) a lancé le référendum contre la version de droite de la réforme de l'imposition des entreprise, l'a fait aboutir, a mené campagne (avec des moyens financiers ridicules si on les compare à ceux des partisans de la réforme), et elle peut gagner dimanche. Pas toute seule, évidemment (Ia gauche dans ce pays ne pèse qu'un petit tiers des suffrages, et il lui faut donc pour gagner une majorité détourner une partie de l'électorat de droite de son sillon), mais en ayant convaincu une partie importante de cette fameuse "classe moyenne", dont nul à vrai dire ne sait ce qu'elle est, que le projet qui lui est soumis est inacceptable. Un référendum, en effet, n'est pas une élection : on ne choisit pas un parti, on se prononce sur un texte. Et si on veut le renvoyer à son expéditeur, il ne suffit pas d'être relativement  majoritaire, il faut l'être absolument.


Alors comme ça, la "classe moyenne se réveille" ?

Alors comme ça, la "classe moyenne se réveille" ? C'est l'explication, souvent contristée, et jamais précisée d'une définition de ladite "classe moyenne", que les sagaces analystes des sagaces media qui analysent sagacement les sagaces sondages sur le vote de 12 février, donnent à la montée du "non " à la RIE III. Un "non" sagace, comme peut l'être le principe de précaution face à une réforme totalement contraire au principe de l'égalité devant l'impôt (on accorde aux entreprises des possibilités de déductions fiscales qu'on n'accorde pas aux particuliers, et on ne les accorde qu'aux grosses entreprises), à une réforme qui accentue la concurrence fiscale entre les cantons et les pousse carrément au dumping, et surtout à une réforme qui vide les caisses publiques (la fédérale, les cantonales et les communales), et qu'on ne justifie qu'en recourant à des prédictions parfaitement hasardeuses (relevant de la "spéculation et (...) parfois carrément de la liturgie", selon l'économiste François Grin) sur de futures rentrées fiscales nouvelles produites par l'arrivée de grosses entreprises attirées par la faiblesse des taux d'imposition.

Dans "Le Temps" d'hier, Denis Torche, de "Travail Suisse", résume le message adressé par les opposants à la réforme telle qu'elle est proposée (et non à toute réforme) : "Pour une réforme de la RIE III équilibrée et juste", il faut que le "non" soit majoritaire dimanche, précisément parce que la réforme proposée est déséquilibrée et injuste. En la renvoyant à ses expéditeurs (la majorité des Chambres fédérales), on ne fait que les contraindre à produire un travail acceptable par une majorité -à moins bien entendu qu'ils ne choisissent de renoncer à toute égalisation des taux d'imposition des bénéfices des entreprises. Si le "non" l'emporte, en effet, on en reste à la situation actuelle et à l'enjeu initial : supprimer les régimes fiscaux privilégiés. Les supprimer, pas les remplacer par une collections de "niches fiscales" qui permettront aux grosses entreprises de payer moins d’impôt sur leurs bénéfices (les PME n'en pas, ou si peu que la baisse de leur taux d'imposition n'aura pour elles aucun effet). Or le taux d'imposition moyen des entreprises a déjà baissé de plus de quatre points entre 2005 et 2015. On veut maintenant le baisser encore de deux à quatre points.

Les conséquences seront immédiates. Les baisses de recettes fiscales sont évaluées à 1.3 milliard pour la Confédération et 1.4 milliard pour les cantons. Ces chiffres, qui ne sont que des estimations (l'administration fédérale a renoncé à produire les siennes -il est vrai que celles qu'elle avait produites pour la RIE II s'étaient, s'agissant des pertes fiscales, révélés dix fois inférieurs à la réalité des pertes subies)  pourraient d’ailleurs être largement sous-évalués. Et de toute façon, comme Ruth Dreifuss en témoigne "d'expérience", les baisses d'impôts,  - "et celle-ci est particulièrement massive" -sont toujours suivies de réduction des prestations sociales et des investissements dans l'éducation, la formation, la santé et l'environnement"

Aux pertes pour la Confédération et pour les cantons s'ajoutent les pertes pour les communes : Pour prendre des exemples genevois, la RIE3 fera perdre 10 millions par année (sur un budget de 61 millions) à la commune de Plan-les-Ouates, jusqu'à 3,5 mio par an (à peu près l'équivalent de la subvention aux 3 crèches municipales) à la Ville d'Onex, sur un budget de 49 mio. Quant à la Ville de Genève, c'est 60 millions qu'elle perdrait. Soit le coût total du Grand Théâtre plus celui de l'Orchestre de la Suisse Romande.

Qui dit baisse de recettes fiscales dit en effet baisse des finances publiques et donc baisse des prestations à la population. Les baisses de recettes fiscales devront être compensées soit par une augmentation de l’impôt sur les personnes physiques, soit par des coupes réparties sur l’ensemble des prestations publiques. Cela signifie plus d’élèves par classe, plus d’attente et des soins de moins bonne qualité à l’hôpital, des transports publics moins efficaces, un soutien réduit aux personnes âgées à domicile ou des aides financières diminuées pour celles et ceux qui en ont besoin (subsides d’assurance maladie, allocations logement, bourses d’études etc…).

Affirmer qu’il n’y a pas de plan B en cas de refus de la RIE III est un piteux mensonge. Le plan B existe. On en a même un avant-projet : le projet initial du Conseil fédéral, celui que la droite parlementaire a dénaturé en le farcissant de cadeaux fiscaux. On peut donc refuser la version de RIE III soumise au peuple  : si le "non" est majoritaire le 12 février, rien ne change -et puisque rien ne change, aucune entreprise ne va prendre la fuite, puisque leur statut fiscal ne change pas tant qu'une nouvelle version de la réforme ne sera pas adoptée. Les Chambres fédérales auront alors deux ans pour produire cette nouvelle version : une version sans cadeaux fiscaux, avec un taux d'imposition égal dans tous les cantons, et ne vidant pas les caisses publiques.
C'est trop demander à la majorité de droite ? Sans doute. Mais c'est précisément pour cela qu'il faut le lui imposer : le "non" à la RIE III, c'est à cela qu'il servira : d'incitation à un travail politique intelligent.

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