RIE III : Retour à l'envoyeur


Da capo

Vendredi dernier, "Le Temps" tirait sa dernière cartouche en proclamait en édito que la réforme de l'imposition des entreprises, version 3.0 (RIE III) "est un très bon projet qui permet l'équité fiscale entre entreprises, la fin des statuts spéciaux et une amélioration de la compétitivité du pays. Il se suffit à lui-même". A lui-même, sans doute. Et suffisant au "Temps", aussi. Mais pas aux Suisses et aux Suisses. Et même pas aux Genevois, dont on aurait pourtant pu attendre qu'ils votassent massivement en faveur d'une proposition dont les partisans clamaient que le refus allait provoquer l'exode massif des multinationales et autres sociétés à statut, grosses employeuses de contribuables locaux (et d'expatriés et de frontaliers, ce qui ne peut que rendre assez égayant le soutien que le MCG et l'UDC apportaient au projet finalement refusé). Le refus clair et net (à près de 60 % des suffrages) de la RIE III éclaircit le paysage politique, national et local. National, puisqu'en renvoyant le paquet à son expéditeur, le peuple le charge de lui en présenter un plus... présentable. Local, puisqu'on en a fini avec la bouffonne "convention" que les partisans de la réforme fédérale voulaient faire signer aux "partis gouvernementaux", à commencer (parce que c'est eux qu'il fallait ligoter pour leur faire avaler la réforme cantonale) par les partis de gauche. Da Capo, on vous dit !


C'est une négociation qui devra s'ouvrir, plus un diktat qui pourra tomber

Pour le Conseiller fédéral Ueli Maurer, passé du rôle (enviable) de Ueli der Soldat à celui d'Ueli der Buchführer, le vote d'hier était une sorte de test de légitimité : il s'était beaucoup agité pendant toute la campagne, n'hésitant pas à aller jusqu'au chantage en annonçant que si le "non" passait, il sortirait de son chapeau un plan d'économies drastiques de plusieurs milliards, comme si le maintien temporaire du statu quo allait paniquer les sociétés à statut et provoquer leur exil massif. Pour l'USAM aussi, ce vote était un test : elle n'avais pas hésité à tripatouiller des photos (vieille tradition stalinienne qu'on s'amuse -mais après le vote- à voir reprise par la droite de la droite patronale) et des photos pour faire campagne en promettant le paradis fiscal aux petites et moyennes entreprises. Bel enfumage, aussi, que cette promesse : Les PME, gagnantes ? Comment diable celles qui ne font pas de bénéfices, pourraient-elles payer moins d'impôt sur leurs bénéfices inexistants ? Comment une PME qui ne dépense rien en "recherche et développement" pourrait-elle déduire ces dépenses qu'elle ne fait pas de son bénéfice imposable ? ou bénéficier d'une réduction de l'imposition de bénéfices qu'elle fait sur ses patentes quand elle ne délivre aucune patente ? ou déduire de fonds propres excédentaires dont elle ne dispose pas des intérêts qu'elle ne toucherait pas après avoir renoncé à des investissements qu'elle ne pouvait pas consentir ?

La large victoire des référendaires contre la RIE III est une victoire de la gauche en général et du PS en particulier, puisque c'est elle qui avait lancé le référendum, lui qui l'avait fait aboutir -et lui encore qui a été la cible de la campagne des partisans de la réforme. Mais elle est aussi une victoire des villes, qui auraient été les grandes perdantes de l'exercice (les cantons recevaient une compensation fédérale de leurs pertes, pas les communes -et celles des villes auraient été considérables : 60 millions par an, rien que pour Genève. Et puis, le refus de la réforme fédérale sonne le glas du projet de réforme cantonale présenté par le Conseil d'Etat, et qui n'est plus soutenu (si on s'en tient aux partis ayant accepté de signer la convention qui les liait à cette réforme cantonale) que par le PDC et le MCG. Curieux attelage, soit dit en passant. Attelage d'un corbillard, puisque la réforme cantonale est naufragée avec la réforme fédérale.

Et maintenant ? Le peuple a renvoyé, nettement, la baudruche à son expéditeur, charge à lui d'en faire un ballon présentable. Puisque personne ne s'opposait au principe d'une égalisation des taux d'imposition des entreprises, ni à la suppression des statuts spéciaux accordés notamment aux multinationales, c'est une nouvelle discussion qui va devoir s'ouvrir. Une nouvelle discussion, et surtout une négociation, pas un diktat. Avec un taux d'imposition égal pour toutes les entreprises (ce qui implique le renoncement aux petits cadeaux faits à certaines d'entre elles et pas aux autres). Avec aussi un "taux plancher" décent dans tous les cantons, histoire de réduire autant que possible la concurrence et la sous-enchère fiscales entre eux. Avec enfin un maintien des recettes fiscales de la Confédération, des cantons et des communes, en renforçant l'imposition des gains immobiliers et des grosses fortunes, et en introduisant une imposition des transactions financière et des successions. A ces conditions, un projet sérieux a toutes ses chances.
Est-ce trop exiger ? A s'en tenir aux prédictions apocalyptiques de la droite pendant toute la campagne, sans doute. A compter sur l'intelligence d'au moins une partie d'entre elle, non. Et dans tout socialiste réside un incorrigible optimiste.

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