François Fillon, le cabinet noir et les casseroles


Pinocchio président ?

Donc, selon les fillonistes, à la recherche desespérée de contre-feux aux révélations sur la personnalité et les pratiques de leur candidat à la présidentielle, il y aurait un "cabinet noir" à l'Elysée, qui piloterait ces révélations pour couler Fillon. Un cabinet noir ? Décidément, ça sent la fin de règne : y'a même plus de personnel pour nettoyer les chiottes...  Toute plaisanterie mise à part, malgré la batterie de cuisine qu'il traîne derrière lui, François Fillon n'est pas encore politiquement et électoralement mort, et toujours installé, à en croire les sondages, à la troisième place des intentions de vote, pas assez loin de Macron et Le Pen pour qu'on puisse jurer qu'il ne sera pas au deuxième tour et être élu (du moins contre Le Pen, dont la seule chance d'être élue est d'ailleurs de se retrouver au deuxième tour... contre François Fillon, les deux ayant donc un adversaire commun : Emmanuel Macron). Pinocchio peut encore rêver de la présidence.


La démocratie n'est le pouvoir de personne

Inculpé de "détournement de fonds publics", "complicité et recel de détournement de fonds publics" et "complicité et recel d'abus de biens sociaux", François Fillon n'a pas retiré sa candidature, alors qu'il s'y était engagé. il clame toujours son innocence, refuse de répondre aux questions des juges, dénonce un calendrier judiciaire "instrumentalisé pour nuire à (sa) campagne" et bénéficie à la fois de la présomption d'innocence et de l'immunité parlementaire (contrairement à son épouse, qui pourrait bien elle aussi être inculpée -et le rester même si lui était élu), comme d'ailleurs Marine Le Pen (dont l'immunité parlementaire est européenne). Et si d'aventure il était élu, il resterait plombé pendant toute sa présidence par la dégradation de son image et incapable de faire passer la moindre de ses propositions : la justice serait contrainte par son élection d'abandonner les poursuites contre lui, pas la presse d'abandonner ses enquêtes -ce qui s'impose au juge Tournaire ne s'impose pas au Canard.

Dénonçant le "gouvernement des juges", le complot des media et les manipulations du "cabinet noir" de l'Elysée, se présentant lui-même comme victime de ce gouvernement des juges et de ce complot des media, désignant derrière les uns et les autres la main (gauche) du pouvoir qu'il ambitionne de remplacer, Fillon n'a pas tenu un autre discours que celui de la vieille droite anti-républicaine, se posant comme le représentant du pays réel contre le pays légal -et comme il est tout de même risqué de le dire avec les mots de Maurras, il le dira en se posant en grand démocrate : "le seul juge, c'est le peuple". Ce qui en effet a un bel air démocratique, au moins étymologiquement. Mais quel peuple constitue-on ainsi ? Celui tout entier, et exclusivement, constitué de ses propres partisans et électeurs, le peuple de la "droite Trocadéro" et des abonnés de "Valeurs Actuelle" ? Le peuple vaut mieux que cela, mieux que son invocation rituelle par des candidats à un pouvoir qui pèsera forcément sur lui, et dont aucun, qu'il soit de gauche ou de droite, dans le "système" ou en dehors, ne pourra jamais ni l'incarner (ce qui relèverait de la religiosité, pas de la politique), ni même le représenter (on sait depuis Rousseau que le peuple ne se représente pas). Tout au plus, et c'est déjà trop, s'en servir.

On ajoutera que les institutions démocratiques ne se limitent pas aux institutions politiques, au sens restreint du terme : les institutions judiciaires en sont aussi, et les institutions garantes du respect des lois, de la constitution et des traités -une Cour constitutionnelle, le Tribunal Fédéral... Qu'elles soient élues ou désignées, elles représentent tout autant le peuple qu'un parlement ou un président -à ceci près qu'elles le représentent en totalité, défendant aussi bien celles et ceux qui auront pu prendre part, directement ou non, à leur désignation. Ces cours, ces tribunaux, sont là aussi pour défendre les exclus contre des inclus, des nomades contre les installés, des enfants contre des adultes, des étrangers contre l'Etat, des prisonniers contre des administrations pénitentiaires. Au fond, il n'y a même que cette fonction là qui peut les justifier.

La démocratie institutionnelle, c'est le pouvoir d'un peuple incomplet : c'est le pouvoir de la majorité de la partie du peuple qui peut exercer ce pouvoir. Les femmes en furent longtemps a priori exclues, les enfants et les adolescents le sont toujours, la plupart des étrangers aussi. Et de la partie du peuple qui reste, il faut encore retrancher celle qui s'abstient de faire usage de se droits (sauf précisément de celui de cette abstention), et celle qui en fait bien usage, mais en pure perte électorale. La démocratie, rappelle Pierre Rosanvallon, n'est le pouvoir de personne : elle est un pouvoir qu'aucun parti, fût-il majoritaire, ne peut s'approprier. Pas plus qu'un candidat ne peut s'approprier le peuple. Même Méluche? Même Méluche.
La démocratie n'est pas qu'un pouvoir, elle est aussi les contre-pouvoirs. Elle est aussi les media, et les organisations sociales, et elle est aussi la rue. Et qui que ce soit qui aura gagné au deuxième tour le droit de poser son séant sur le trône présidentiel, il ou elle aura affaire à ces contre-pouvoirs-là.
D'ailleurs, n'est-ce pas pour s'en protéger que s'inventèrent et perdurèrent les "cabinets noirs" ?

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