Le Parti socialiste, parti de la "classe moyenne" ?


Glissement progressif de l'ancrage...

En décembre dernier, un sondage effectué par Tamedia auprès de 18'000 personnes (vaste échantillon, tout de même) donnait l'UDC comme le parti qui, de l'avis de 23 % sondés, défendrait le mieux les intérêts de la classe moyenne, devant le PS (19 %), le PLR (13 %) et le PDC (11 %). Plus les sondés étaient âgés, plus souvent ils choisissaient l'UDC (29 %, contre 13 % au PS), plus ils étaient formés, plus ils choisissaient le PS (23 % chez les universitaires, contre 13 % à l'UDC). Au-delà du classement des partis, dans un ordre qui reproduit celui des élections, et de la question sans réponse claire "la classe moyenne c'est quoi ?", ce sondage confirme en tout cas le glissement progressif de l'ancrage social du Parti socialiste, parti défenseur des classes "populaires" devenant le parti d'une classe moyenne définie négativement : en seraient toutes celles et tous ceux qui ne sont ni pauvres, ni riches, qui ont assez de ressources pour payer leurs impôts et leur loyer, pas assez pour être propriétaires de leur logement, et trop pour recevoir des subsides sociaux.


"Il serait naïf de croire que nous sommes des révolutionnaires"


Comment répondre à l'injonction d'Antonio Gramsci de changer le "sens commun" hégémonique, de le faire repasser de la droite à la gauche, d'y réinstaller des principes d'égalité, de justice sociale, de libertés ? Il faudrait sans doute, d'abord, les réinstaller dans le "logiciel" d'une partie de la social-démocratie elle-même :  ainsi, pour la droite du PS suisse, le programme économique du parti ne devrait pas reposer sur la démocratie économique mais sur l'économie de marché dans sa version "socialisée", l'"économie sociale de marché", concept emprunté aux grandes coalitions entre démocrate-chrétienne et social-démocratie allemande... ou à la Migros  (le "capital à but social", dans la formulation de Gottlieb Duttweiler). La vice-présidente du PSS, Géraldine Savary, répond . "l'idée centrale du programme économique, c'est d'apporter une réponse aux salariés qui se sentent dépossédés de leurs droits". Et qui, effectivement, le sont, "dépossédés de leurs droits". Et le programme socialiste de mettre l'accent sur le développement des coopératives, de la démocratie dans les entreprises, de la syndicalisation, du renforcement des services publics, des aides sociales, du pouvoir d'achat, du soutien à la création de commerces de proximité. Un programme évidemment, typiquement, fondamentalement social-démocrate, pour autant qu'on accorde quelque valeur aux qualifications politiques. Le PS s'adresse donc aux "salariés", cette vaste catégorie qui, dans le discours normalisé de la gauche, a remplacé la classe ouvrière et le prolétariat. Mais dans une société où le salariat est le mode hégémonique de rétribution du travail et où tout le monde ou presque est donc salarié, même les patrons, le glissement suivant s'annonce : des "salariés" à la "classe moyenne".  Ce fut d'ailleurs en tant que défenseur des "classes moyennes" que le PSS a mené le combat contre la réforme de l'imposition des entreprises, et qu'il s'apprête à soutenir la réforme des retraites -qui, effectivement, ménage ces fameuses "classes moyennes" tout en favorisant prudemment les plus modestes, au prix du report de l'alignement de l'âge de la retraite des femmes sur celui des hommes. Et là encore, on est en plein dans un choix social-démocrate. Autant dire que le reproche de "radicalisme" gauchiste adressé au programme du parti tient plus de la pataphysique que de l'analyse politique. D'ailleurs, lorsque ce programme donne pour objectif le "dépassement du capitalisme", seuls 16 % des sondés y adhèrent.

Sorti vainqueur du vote sur (contre) la réforme de l'imposition des entreprises (RIE III), le PS suisse n'a pas encore choisi son camp dans la confrontation qui va s'ouvrir sur la réforme des retraites : c'est la base qui tranchera, dans un référendum interne (de tous les membres du parti) le mois prochain. On peut néanmoins, sans prendre trop de risques, s'attendre à ce qu'il soutienne (avec cependant des dissidences cantonales et militantes) le compromis sorti des Chambres fédérales, puisqu'il est l'un des artisans de ce compromis favorable aux "classes moyennes", et que c'est le Conseiller fédéral socialiste Alain Berset qui va le porter devant le peuple.

"Il serait naïf de croire que nous sommes des révolutionnaires", lançait le président du PS au congrès du parti. Des révolutionnaires, certainement pas. Mais des réformistes radicaux ? Pourquoi pas, du moins si on tient le programme d'un parti (et celui du PS est évidemment contradictoire d'un report de l'âge de la retraite des femmes) pour autre chose, et plus, qu'un chiffon de papier ou le souvenir des arbres abattus pour en faire les feuilles d'un discours politique ?

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