"Opération Papyrus" de régularisation des sans-papiers : Une Genferei comme on les aime


Les "sans-papiers" sont des personnes, ces personnes ont des droits, et Genève a décidé de reconnaître ces droits et ces personnes. Pas inconditionnellement, pas automatiquement, au cas par cas -mais en posant des critères objectifs, égalitaires à cette reconnaissance. L'"opération papyrus", conçue entre le canton, la Confédération et les organisations sociales (notamment le SIT, le Centre social protestant, le Centre de contacts Suisses-immigrés, le Collectif de soutien aux sans-papiers) actives dans la défense de ces milliers de travailleuses et de travailleurs de l'ombre (13'000 rien qu'à Genève), sous-payés, privés de droits sociaux et pourtant indispensables, ouvre la voie à la prise en compte, à Genève, et peut-être ailleurs, là où on pourrait s'inspirer de l'opération genevoise (un appel en ce sens vient d'être lancé dans le canton de Vaud) d'une réalité encore largement occultée ailleurs en Suisse. Ce n'est ni une régularisation collective (à laquelle cependant il faudra bien que l'on vienne), ni l'application du principe selon lequel "qui travaille ici a le droit de résider ici", mais c'est déjà la fin d'un déni de réalité et d'un déni de droits. Deux semaines après l'acceptation de la naturalisation facilitée des petits-enfants d'immigrants, c'est une nouvelle éclaircie et l'UDC, seul parti à condamner l'opération, a bien raison, dans son amour du renfermé, de dénoncer un "appel d'air". Un air printanier, même. Une Genferei comme on les aime.

"La meilleure nouvelle dans le droit des étrangers depuis dix ans".

Ce dans quoi se lance le canton de Genève avec l'opération "Papyrus" n'est ni une amnistie, ni une régularisation globale des "sans-papiers" (chaque cas sera examiné individuellement), mais c'est tout de même, selon le mot d'un porte-parole du Centre social protestant, "la meilleure nouvelle dans le droit des étrangers depuis dix ans". Au moins.

Les premières et les premiers concernés par la possibilité de régulariser leur situation viennent d'Amérique latine, des Balkans, des Philippines, et travaillent dans l'économie domestique, la construction, la restauration. Combien seront-ils, au final ? sans doute plusieurs milliers, mais sans qu'on puisse en préciser plus que cela le nombre. Ce qu'on croit savoir, c'est qu’il y a au moins 76'000 "sans-papiers" en Suisse, dont au moins 13'000 à Genève (18'000 dans le canton de Vaud, 24'000 à Zurich). En dix ans, on n'en a régularisé, péniblement, que 4000 dans tout le pays, dont la moitié rien qu'à Genève (un millier dans le canton de Vaud, moins d'une centaine à Berne, et seulement une dizaine à Zurich).

En 2005 déjà, Genève demandait la régularisation de 5000 "sans-papiers". A Berne, on (la Conseillère fédérale Ruth Metzler) a fait la sourde oreille. Avec le remplacement de Ruth Metzler par Christoph Blocher à la tête du Département de Justice et Police, la qualité de l'audition bernoise ne s'est évidemment pas améliorée et il faudra attendre que Simonetta Sommaruga reprenne le ministère fédéral pour qu'en 2010 le travail de conception d'un projet praticable, dans le cadre de la loi en vigueur, puisse être négocié par Genève avec la Confédération. Et attendre 2016 pour qu'il soit discrètement mis en route (il a déjà abouti à la régularisation de 590 personnes venant principalement d'Amérique latine, des Balkans et des Philippines, et 297 dossiers sont en cours de traitement). L'opération vise à la fois à sortir des milliers de personnes de l'illégalité, et à "assainir" des secteurs (à commencer par celui de l'économie domestique) où la sous-enchère salariale, la précarité et le travail au noir règnent en maître : régulariser les travailleuses et travailleurs sans statut légal de ces secteurs leur permettra de défendre leurs droits sans risquer l'expulsion.

"Papyrus est une feuille de route au service de l'intérêt général", résume Pierre Maudet, fort bien inspiré sur ce dossier, ouvert, "géré" et concrétisé avec les organisations d'entraide et avec la Confédération, "dans le cadre d'une politique migratoire cantonale cohérente, juste et équitable", et en usant des espaces que laisse au canton la loi fédérale actuelle. Il aura fallu plus de dix ans pour y arriver, depuis qu'une Assemblée générale des "sans-papiers" organisée par le syndicat SIT ait posé publiquement la question de leur régularisation, et de la fin d'un déni de réalité, d'un refus de la voir en face, alors qu'on la connaît et la croise tous les jours. Car on ne parle pas de fantômes, mais de nos voisins : les "sans-papiers" ne sont pas des clandestins, et surtout pas celles et ceux qui pourront être régularisés à Genève. S'ils n'ont pas d'autorisation de séjour, ni de travail, il séjournent et travaillent chez nous à notre vu et notre su. Un milliers de leurs enfants sont scolarisés, officiellement. Ils sont enregistrés, ont une adresse connue, des contacts avec des services publics. On sait où ils travaillent et qui les emploie. Ainsi, avec "Papyrus", ce n'est pas seulement à une injustice qu'on peut mettre fin, c'est aussi, comme y a fort justement insisté Pierre Maudet, à une hypocrisie : "nous voulons valider la réalité, régulariser les personnes déjà en règle" : pour être régularisé, il faudra avoir un emploi, être indépendant financièrement, résider à Genève depuis au moins cinq ans, maîtriser le français et n'avoir subi aucune condamnation pénale.
L'opération n'est pas parfaite, les critères de régularisation pourraient être moins stricts et "Papyrus" se contient encore (forcément, puisqu'il s'agit d'une opération de légalisation) dans les étroites limites d'une loi qu'il faudra changer, mais dans ce cadre-là, "Papyrus" va aussi loin qu'il est possible.
"C'est une longue histoire qui aboutit, mais qui commence aussi", résume Ruth Dreifuss. Une longue histoire qui ressemble à bien d'autres avant elle : la vieille histoire des vieux combats pour la justice sociale.

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