Nos zélections à nous


Les noms de la rose

Faut pas croire que l'avidité avec laquelle nous suivons les péripétie feuilletonesques de la présidentielle française nous fait oublier que nous aussi, dans nos coins de pays, nous avons quelques enjeux électoraux à relever : les Vaudois sont en pleine campagne électorale, les Genevois vont y entrer dans pas longtemps, les Neuchâtelois et les Valaisans viennent d'en sortir. Le 13 mai, le Parti socialiste genevois désignera ses candidates et candidats au Conseil d'Etat et au Grand Conseil, pour les élections cantonales de l'année prochaine. Le Comité directeur propose une liste de 45 candidates et candidats au Grand Conseil et de 4 candidates et candidats au Conseil d'Etat. Or pas moins de six socialistes ont annoncé leur candidature à la candidature au gouvernement : la Conseillère d'Etat Anne Emery-Torracinta, ainsi que Thierry Apothéloz, Carole-Anne Kast, Romain de Sainte Marie, Sandrine Salerno, Carlo Sommaruga. Dilemme : le PS genevois va devoir choisir lui-même ou laisser ce choix à son électorat. Heure du choix, leurre du non-choix...


Abondance de biens ne nuit pas, mais à condition d'être capable de les choisir...


Ils sont donc six, les socialistes genevois, à se présenter devant leurs camarades pour solliciter leur désignation comme candidates et candidats du parti au gouvernement cantonal. Sept candidates et candidats à la candidature à un gouvernement de sept membres : c'est bon signe, d'autant que chacune et chacun des six a des arguments à faire valoir pour sa candidatures : l'une est déjà conseillère d'Etat, trois autres sont membres d'exécutifs municipaux de villes (dont l'une de celle de Genève), l'un est parlementaire fédéral, un est député, aucune ni aucun n'a à prouver quoi que ce soit s'agissant de leurs engagements et de leur expérience politiques. La tentation doit donc être forte chez quelques socialistes de les choisir toutes et tous, c'est-à-dire de n'en choisir aucune et aucun, et de les présenter les six au premier tour de l'élection du Conseil d'Etat en se défaussant sur l'électorat de la douloureuse mission de choisir qui restera au second tour. Autrement dit, la de la douloureuse mission d'en éliminer trois ou quatre, en transformant ainsi le premier tour de l'élection en une sorte de "primaire" qui ne dirait pas son nom -mais quand on voit dans quelles affres ont plongé les "primaires" de la droite et de la gauche française, on se dit qu'on pourrait éviter de commettre le même exercice à Genève, et qu'après tout, un parti politique devrait être capable de sélectionner lui-même celles et ceux qu'il présente à une élection. Certes, abondance de biens ne nuit pas, mais à condition d'être capable de les choisir...

Il y a tout de même des enseignements utiles à tirer des expériences passées : ainsi, lors de la dernière élection du Conseil d'Etat, en 2013, les deux candidats de gauche finalement élus, grâce à une fusion de dernier tour des listes, Antonio Hodgers et Anne Emery-Torracinta, ne l'ont été qu'à la 5ème et la 6ème place, devancés de plusieurs milliers de voix par les candidats de l'Entente. Le troisième candidat de gauche, Thierry Apothéloz, est arrivé huitième, devancé de 1200 voix pour la dernière place des élus par le MCG Poggia, alors même qu'il le devançait de 2400 voix en Ville de Genève : c'est le vote des bastions d'alors du MCG (Vernier, Onex, Lancy, Meyrin) qui a fait passer Poggia devant lui. Le retard pris au premier tour par les listes de gauche sur la liste unique de la droite, et sur le seul candidat éligible du MCG, n'a pu être rattrapé : la division des listes (les trois listes de gauche étaient séparées) et la multiplicité des candidatures (avec ce qu'elle implique de campagnes personnelles égocentrées a largement contribué à ce résultat navrant -si navrant qu'on en vient à se dire qu'il eût été préférable que la gauche n'ait aucun élu, ce qui l'aurait mis dans une meilleure position pour une revanche en 2018 : l'expérience du "gouvernement monocolore" de la fin du XXe siècle n'est pas sans enseignement...

Présenter un maximum de candidates et candidats, dont la plupart n'ont guère de chances (sauf à espérer en un gouvernement où les socialistes seraient majoritaires à eux seuls) et dont seul-e-s deux ou trois seront présent-e-s au deuxième tour, au prétexte de "ratisser large", c'est en outre s'interdire toute possibilité de liste unitaire avec les Verts (voire, s'ils sont capables d'en comprendre l'enjeu, "Ensemble à Gauche"), et se condamner, face à une liste unitaire de droite, à se traîner en queue de peloton du premier tour. Jouer tout de suite la carte de la concentration des forces, avec trois candidat-e-s et une liste unitaire de gauche avec qui veut, dès le premier tour, devrait apparaître avec évidence comme la meilleure solution -mais elle implique précisément de choisir ces trois candidat-e-s au sein des six qui se proposent de l'être, et par conséquent d'en laisser trois sur le bas-côté. La tentation d'une liste élargie réduisant le nombre des recalé-e-s sera donc forte -mais une telle liste disperse les voix et multiplie les concurrences, quand une liste restreinte concentre les forces et les unit, en ne présentant dès le premier tour que des candidates et candidats qui ont réellement la possibilité d'être élus, et en n'en présentant pas plus qu'il ne serait concevable dans une stratégie unitaire.
Bref, en proposant de présenter quatre candidates et candidats, le Comité directeur du PS propose d'un présenter un (plutôt qu'une) de trop.
On sait bien que les trois mousquetaires était quatre. On oublie qu'à la dernière page de la trilogie de Dumas, il ne reste plus qu'Aramis de vivant... mais voguant vers l'exil.


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