"Stratégie énergétique 2050" (SE2050) : Une opposition paranolithique


Soumise au vote le 21 mai prochain la "Stratégie énergétique 2050" (SE2050 pour les intimes) était approuvée par 56 %  des personnes (69 % des Romands, 62 % des Tessinois, 51 % des Alémaniques) interrogées les 6 et 7 avril dans un sondage en ligne Tamedia auprès de 11'000 personnes. Les sympathisants Verts, Verts libéraux, socialistes et PDC soutiennent massivement le projet Du côté de ses opposants, les trois quarts des sympathisants de l'UDC suivent le mot d'ordre négatif du parti, ainsi qu'une majorité des sympathisants PLR (alors même que le parti appelle à voter "oui"). Un étrange comité "environnemental" s'est en outre formé pour combattre cette "stratégie" de développement des énergies renouvelables. On y retrouve le président de la Fondation suisse pour la protection du paysage, le PLR Kurt Fluri, et l'ancien directeur de l'Office fédéral de l'environnement, le PDC Philippe Roch. D'autres opposants s'y ajoutent, comme l'ancien Conseiller fédéral PLR Pascal Couchepin, lequel explique que, "comme libéral, je suis opposé aux subventions en général" et donc, en particulier, à celles que le SE2050 propose d'accorder aux barrages et aux énergies douces. Couchepin refuse également le concept même de "sortie du nucléaire", au coeur de la proposition du Conseil fédéral et du parlement : "on ne peut pas diaboliser le nucléaire du futur". Comme s'il s'agissait de cela, quand ce sont précisément les opposants à la "stratégie énergétique 2050" qui la diabolisent en annonçant qu'elle ruinerait tout à la fois les finances publiques, les budgets des ménages, leur confort, le paysage et l'ordre juridique. Pour commencer. Avant de nous faire revenir au paléolithique. Mais au paranolithique, cette opposition y est déjà.

Vous préférez le pétrole saoudien ou les vents helvétiques ?


Donc, on résume : si la "Stratégie énergétique 2050" est mise en oeuvre, les malheureux Helvètes, avant d'être contraints de revenir revenus végéter dans des cavernes,de s'éclairer à la bougie, de se chauffer au feu de bois  et de ne plus pouvoir prendre de douches que froides, payeront d'un prix exorbitant leur consommation d'énergie raréfiée, pendant que des forêts d'éoliennes plantées dans leurs jardins les assourdiront d'un vacarme incessant : c'est, en gros, ce que nous promettent les adversaires (l'UDC, quelques PLR, le lobby nucléaire, Philippe Roch...) du projet du gouvernement et du parlement fédéraux. On pourra ajouter à ce tableau réjouissant les milliers de chômeurs engendrés par la fermeture des centrales nucléaires, le "sacrifice du paysage" le "bouleversement de notre ordre juridique" (l, c'est Philippe Roch qui parle) et la violation de la liberté individuelle des consommateurs, sournoisement contraints d'adopter un mode de vie de bobos écolos alors qu'ils ont le droit fondamental de gaspiller toute l'énergie qu'ils veulent, quelque soit sa source de production, son impact sur l'environnement et les risques sécuritaires de son mode de production. La Suisse a déjà réduit de 14,5 % sa consommation d'énergie en quinze ans (2000-2015), malgré la croissance économique, l'augmentation de sa population et la généralisation de sa mobilité, et cela sans aucune restriction pour les consommateurs ? Nos lanceur d'alerte sur le retour à l'âge de pierre n'en ont cure : la "stratégie énergétique", c'est, clament-ils, le retour à l'âge de pierre -et sur cette pierre ils construisent leur campagne. Quant à la hausse du prix de l'énergie consommée (0,8 centime de plus par kw/h), qu'ils évaluent à 3200 francs par an pour les consommateurs, elle ne sera en réalité que de quarante balles pour un ménage de quatre personnes, et ce surplus (480 millions de francs par an) restera pour l'essentiel en Suisse, pour une production indigène.

Que la droite libérale, l'UDC et le lobby nucléaire soient vent debout contre une "stratégie " qui se propose de changer, progressivement, de mode de production de l'énergie consommée en Suisse, ne surprendra personne. Que des écologistes les rejoignent est plus surprenant : ainsi du PDC écolo "essentialiste" Philippe Roch, qui se dit "contraint" (mais par qui ?) de voter "non" à la SE2050 (comme il se sentait sans doute "contraint de voter oui" à l'initiative malthusiano-xénophobe "Ecopop") dès lors que les propositions qu'il avait condescendu à faire pour "corriger certains défauts du texte" n'ont, incompréhensiblement, pas été prises en compte. Lui ne raisonne pas politiquement, il raisonne ontologiquement, religieusement, chamaniquement, à partir d'une pensée exprimée par un autre écolo essentialiste, Aldo Leopold : "une action est juste quand elle a pour but de préserver l'intégrité, la stabilité et la beauté de la nature. Elle est répréhensible quand elle a un autre but". La plupart des actions humaines ayant précisément un "autre but", on pourrait aller plus encore à l'essentiel en proclamant que la plupart des actions humaines sont, en tant que elles répréhensibles -mais il faudrait pour cela oublier que, quoi qu'il en croie et s'en croie, l'homme est un élément de "la nature" comme tout animal, puisqu'il n'est rien d'autre qu'un animal. Donc, pour ces écolos fondamentalistes, et contrairement aux Verts qui soutienne le projet SE2050, la protection de la nature est le critère essentiel, décisif, quasi unique. Or la loi proposée, qui porte sur la politique énergétique et sur rien d'autre, ne privilégie pas la protection de la nature au soutien à la production d'énergies renouvelables. Péché originel, cardinal et impardonnable. Même pour sortir du nucléaire ? Même. Même pour diminuer de 43 % la consommation moyenne d'énergie par personne, d'ici à 2035 (mais par rapport à 2000) ? Même. Même pour cesser d'importer de l'énergie et pouvoir produire en Suisse l'énergie qu'on consomme en Suisse ? Même.
On notera donc que comme il y a des xénophobes qui préfèrent le pétrole saoudien aux vents helvétiques, il y a des écolos qui préfèrent les centrales nucléaires aux éoliennes. Il faut de tout pour faire un monde politique. Et dans "tout", il y a forcément un peu de "n'importe quoi".

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