Vote général des socialistes sur la réforme des retraites : Un "non" rationnel...


Comme les 31'000 membres du PS, on a reçu notre matériel* pour le vote général des socialistes suisses sur la réforme des retraites ("Prévoyance vieillesse 2020") décidée par le parlement, soutenue par le groupe parlementaire socialiste, sur la base du projet du Conseiller fédéral (socialiste) Alain Berset. Le parti fait les choses dans les règles, sérieusement. Dans la lettre accompagnant le matériel de vote, le président du PSS, Christian Levrat, rappelle que "nous sommes la seule formation politique à utiliser un tel instrument" (le vote général de tous ses membres). Ce dont il s'agit, c'est donc de ratifier ou de révoquer la prise de position de l'assemblée des délégués, qui par 140 voix contre 9 (presque toutes genevoises, le PS genevois s'étant prononcé contre la réforme proposée), moyennant 17 abstentions, a elle-même ratifié la position du groupe parlementaire, favorable au projet soumis au vote populaire en septembre prochain (le référendum est obligatoire puisque le projet est financé notamment par une hausse de la TVA, et un référendum facultatif a en outre été lancé par la gauche syndicale et plusieurs organisations politiques de gauche, principalement par refus de l'augmentation de l'âge de la retraite des femmes. La droite de la droite (UDC, PLR) s'oppose également à la réforme, mais pour des raisons évidemment fort différentes de celles de l'opposition de gauche : ce que cette droite-là reproche au projet, c'est surtout d'augmenter les rentes du "premier pilier" du système de retraites. On va donc, quand on est socialistes, voter deux fois : une première fois en référendum interne pour déterminer définitivement la position du parti, une seconde fois en référendum national, obligatoire et facultatif, pour sceller le destin de "Prévoyance vieillesse 2020". Et on votera deux fois "non". Sans pour autant considérer que celles et ceux qui voteront "oui" se rendront coupables de trahison ou d'infidélité : on n'est pas dans une guerre de religion, on est dans un choix politique rationnel, fondé l'évaluation d'une proposition et des rapports de forces politiques.

*on peut télécharger la brochure explicative sur http://www.fichier-pdf.fr/2017/04/20/voteps-avs/

Entre un "vote utile" et un "vote de résistance"


Dans son introduction à la brochure explicative du vote général des socialistes sur la réforme du système de retraite (pardon sollicité pour cet empilage de génitifs...), le président du PSS, Christian Levrat, pose le parti comme "LA force politique en matière de sécurité sociale", celle qui a "créé l'AVS" et l'a développée, celle sans l'appui de laquelle "une réforme dans ce domaine ne peut trouver une majorité". Et c'est précisément la situation dans laquelle se trouvent à la fois la réforme proposée par les Chambres fédérales (et le Conseiller fédéral socialiste) et le parti socialiste : sans son appui, cette réforme est condamnée -mais son appui doit être décidé par sa base, en "vote général" de tous ses membres. Et si tel est le cas, ce n'est pas seulement pour légitimer la position du groupe parlementaire, de la direction et de l'assemblée des délégués du parti, mais c'est parce que cette réforme contient un élément que ses partisans eux-mêmes désignent comme une "pilule amère", une grosse "couleuvre à avaler" : le report d'un an de l'âge de la retraite des femmes.

La réforme proposée du système suisse des retraites est un compromis. La question est de savoir de quoi se paie, pour le PS (et pour toute la gauche) ce compromis, que la droite de la droite attaque au moins aussi durement que la gauche de la gauche. Car puisque compromis il y a, avancées il y a -et recul il y a aussi. Et stagnation il y a aussi.
Avancées ? la garantie du financement des retraites pour plusieurs décennies, l'augmentation des rentes AVS (pour la première fois depuis plus de 40 ans), l'amélioration de la situation des retraitées (surtout) et des retraités les plus modestes, et des travailleuses (surtout) et des travailleurs les plus précaires.
Recul ? Celui, avant tout, de l'âge de la retraite des femmes. Mais aussi l'augmentation de la TVA, c'est-à-dire de l'impôt socialement le plus injuste.
Stagnation ? le projet ne remet rien en cause d'un système où le "deuxième pilier" (la prévoyance professionnelle), c'est-à-dire une sorte d'épargne forcée produisant des rentes proportionnelles au revenu,  et reproduit les inégalités salariales.  L'AVS est un système solidaire : chacun paie pour tout le monde, et celui qui gagne plus paie plus, mais ne reçoit pas plus. La Prévoyance professionnelle est un système d'épargne forcée : chacun ne paie que pour soi, celui qui gagne plus ne paie que pour recevoir plus.
La raison de l'opposition de gauche à la réforme proposée tient donc en le recul qu'elle impose par le report de l'âge de la retraite des femmes, et en la stagnation qu'elle implique par le maintien d'un système de "trois piliers" (le troisième étant l'épargne volontaire) dont un seul, le premier, l'AVS, mérite d'être qualifié d'assurance sociale. Et est aussi le seul dont on puisse réellement assurer la solidité, parce que c'est le seul qui puisse être préservé, si on en a la volonté politique, des soubresauts boursiers et des calculs spéculatifs.
Dans la campagne référendaire lancée, où la gauche politique et syndicale est divisée, et où le résultat du référendum interne au parti socialiste sera déterminant (il est la seule occasion, pour l'instant, donnée à l'opposition socialiste et syndicale romande de se faire entendre de la "base" socialiste et syndicale alémanique), ce sera bien sur le report de l'âge de la retraite des femmes que se fera la césure entre les prises de position, entre un "oui" à un projet porteur d'une amélioration générale des rentes et un "non" au prix de cette amélioration. Entre un "vote utile" et un "vote de résistance".

Les femmes touchent aujourd'hui des rentes moyennes inférieures de plus de 35 % à celles des hommes. Cette inégalité est certes moins forte dans l'AVS (dont les rentes sont contraintes entre un minimum et un maximum) que dans le deuxième pilier, mais elle est prégnante dans les deux, et elle est le reflet des inégalités de salaire, de revenu et de fortune entre femmes et hommes, et des inégalités dans les parcours professionnels (interruptions de carrières dues à des raisons familiales, travail à temps partiel, et donc salaires réduits, bien plus fréquent chez les femmes que chez les hommes, etc.). Cette prétérition des femmes dans le système de retraite, plusieurs mesures contenues dans la réforme proposée peuvent effectivement concourir à y remédier -mais la réforme fait payer ces avancées, ces mesures positives, d'un recul considérable : celui de l'âge de la retraite des femmes, celui de l'"égalisation" de l'âge de la retraite sur fonds d'inégalités salariales, sociales et politiques persistantes au détriment des femmes. Une égalisation des devoirs sans égalité des droits est inacceptable en principe et c'est sur cette question de principe que se joueront à la fois le vote des membres du PS (on votera "non"), puis le vote du peuple suisse (on votera encore "non").
Tout le reste (l'augmentation des rentes AVS, la baisse du taux de conversion du 2ème pilier, la hausse de la TVA) ne requiert qu'une évaluation pragmatique des avantages et des reculs relatifs d'une proposition qui ne mérite ni l'honneur d'être qualifiée de salvatrice, ni l'indignité d'être considérée comme une trahison.

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