Prévoyance vieillesse : un référendum pour un débat de fond


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Un grand malade : le 2e Pilier

Le référendum facultatif lancé contre la réforme de la prévoyance vieillesse en est à la moitié du nombre de signatures requises. Il doit aboutir d'ici fin juillet. Il a obtenu quelques soutiens supplémentaires ces derniers jours, dont celui des Verts genevois qui, comme les socialistes genevois, s'opposent ainsi au mot d'ordre du parti suisse. Il a aussi obtenu un coup de main utile, celui de deux journaux, romand et alémanique, de défense des consommateurs, au tirage total de plus d'un million d'exemplaires, et qui vont publier la feuille de récolte de signatures -sans soutenir le référendum pour autant, mais parce "tout ce qui touche le porte-monnaie des citoyens concerne nos lecteurs". Gageons donc que ce référendum facultatif aboutira, et qu'il permettra, en s'ajoutant au référendum obligatoire (sur l'augmentation de la TVA contenue dans le "paquet" de la réforme) de lancer un débat non seulement sur ce qui, à gauche, ne passe pas (ou ne passe que comme une couleuvre dans un œsophage), le relèvement de l'âge de la retraite des femmes, mais aussi sur le rapport entre les deux "piliers" de la prévoyance vieillesse, l'AVS et la prévoyance professionnelle. Un premier pilier solidaire, fondé sur la répartition, un deuxième pilier individualiste, fondé sur la capitalisation. Un premier pilier à renforcer, un deuxième qu'on ne sait comment sauver. Ni même s'il faut le sauver.


Une réforme de la prévoyance vieillesse, d'accord. Mais pas celle-là.

Si notre opposition à "Prévoyance vieillesse 2020" (PV2020 pour les intimes) est essentiellement fondée sur notre refus du relèvement à 65 ans de l'âge de la retraite des femmes, elle est aussi motivée par le choix, éminemment politique, de consacrer les trois quarts des nouveaux efforts financiers proposés au renforcement de la prévoyance professionnelle (le 2e pilier) plutôt qu'à celui de l'assurance vieillesse (le 1er pilier), qu'on peut renforcer en renforçant d'abord son financement, en prélevant des cotisations non seulement sur les salaires, mais sur l'ensemble des revenus, notamment les gains en capitaux, en transactions financières et foncières).
Or, que l'on  prenne comme critère celui de la solidité de chacun de ces deux piliers ou celui de leur légitimité, c'est bien l'assurance-vieillesse qu'il conviendrait de renforcer, en tant que système de répartition solidaire, assurant la couverture par les cotisations de tout le monde de rentes versées à tout le monde, et comprises entre un minimum et un maximum, alors que le système de la prévoyance professionnelle, fondé sur la capitalisation individuelle, n'assure (et encore, de moins en moins bien) le versement de rentes qu'en fonction du capital accumulé par les cotisations du futur rentier.

Le 2e Pilier, c'est 180 caisses de pension qui gèrent une fortune de 800 milliards de francs, dont 5 milliards roupillent paisiblement sur 600'000 comptes de "libre passage", parce que leurs ayant-droit ne les réclament pas : il s'agit d'avoirs transférés par d'anciens employeurs sur ces comptes de "libre passage", en attente d'être transférés sur de nouvelles caisses de pension ou d'être réclamés par leurs titulaires. Ces 800 milliards de francs gérés produisent plusieurs milliards de "frais de gestion" -autrement dit de chiffre d'affaire- pour les banques, gestionnaires de fortune et conseillers financiers que le système de la prévoyance professionnelle nourrit -et qu'ils parasitent. Etonnez-vous après cela que les défenseurs de l'"économie libérale" soient fermement opposés au renforcement de l'AVS au détriment d'une prévoyance professionnelle qui les nourrit... mais dont il devrait être évident pour tout le monde, y compris pour ceux qui en profitent, qu'elles sont incomparablement plus fragiles que l'AVS. En sept ans, la capital de prévoyance professionnelle des assurés LPP a perdu entre 10 et 20 %.
La persistance de taux d'intérêts très bas a rendu les placements des caisses de pension bien moins rentables qu'ils devraient l'être. Du coup, leurs gestionnaires, interrogés fin 2016 par le Crédit Suisse, prêchent pour leur paroisse en plaidant pour une baisse du "taux de conversion" en rentes du capital accumulé par les assurés (c'est ce taux qui détermine le niveau des rentes, pour la part obligatoire de cotisation, jusqu'à un salaire de 84'600 francs l'an -au-delà, le taux de conversion est libre, laissé à l'appréciation des caisses), pour éviter de devoir puiser dans les cotisations des actifs pour payer les rentes (en 2015, 5,3 milliards ont ainsi été redistribués des assurés actifs vers les rentiers), ce qui priverait le système même du 2e Pilier de la rentabilité qu'en attendent les caisses. Payer les rentes des retraités par les cotisations des actifs, c'est bien ce sur quoi repose l'AVS -mais l'AVS n'a pas, elle, pour fonction de dégager des profits et de nourrir des gestionnaires qui soutiennent la baisse du taux de conversion  proposée par la réforme PV2020, en regrettant qu'elle ne soit pas plus forte -voire même en proposant qu'on abandonne toute espèce de taux de conversion et qu'on laisse le niveau des rentes dériver librement de la rentabilité du capital. Le taux de conversion, qui était de plus de 7 % il y a quinze ans, se rapproche aujourd'hui de 5 %. La plus grande caisse de Suisse, Publica, baissera son taux de conversion à 5,09 % en 2019, le Crédit Suisse à 4,87 % en 2025. N'avait-on pas, en 2010, refusé en votation populaire que l'on baisse le taux de conversion ? En 2017, c'est que nous avions refusé que le Conseil fédéral et le parlement proposent.
Par ailleurs,  les institutions de prévoyance de droit public sont aussi de plus en plus nombreuses à être passées à la primauté des cotisations à la faveur d'une recapitalisation, comme la plupart des institutions de droit privé avant elles : de 2005 à 2015, le nombre des caisses de pensions pratiquant la primauté des prestations (autrement dit la garantie du niveau des rentes, comme la caisse de l'Etat de Genève) n'a cessé de diminuer, passant de 289 à 58 unités, le nombre de caisses pratiquant la primauté des cotisations (le niveau des rentes dépend de celui du capital accumulé). En 2015, la statistique des caisses de pensions a dénombré 43 institutions de prévoyance de droit privé (2005: 242) et 15 de droit public (2005: 47) qui appliquaient encore la primauté des prestations. En 2015, seul un assuré sur 15 était encore assuré sous ce régime, contre 1 sur 5 en 2005. Ce recul des institutions de prévoyance appliquant la primauté des prestations pure s'accompagne évidemment d'une baisse du nombre des assurés en bénéficiant: en 2005, 172'076 personnes étaient assurées auprès de telles institutions de droit privé, contre seulement 21'723 en 2015.

Qu'est-ce que cette situation nous dit ? Elle nous dit qu'un système aussi fragile (et il ne l'est pas conjoncturellement, il l'est structurellement) que celui du "Deuxième Pilier", la prévoyance professionnelle, ne peut représenter le socle d'un système de retraite. Une réforme de la prévoyance vieilless est certes rendue indispensable par l'évolution démographique -mais pas la réforme qui nous est proposée par "PV 2020", pas une réforme ne repousse l'âge de la retraite des femmes que pour regonfler le grand malade qu'est le 2e pilier sans renforcer le 1er -le seul qui soit un système solidaire.
Mais peut-être est-ce précisément cette qualité qui est son défaut cardinal aux yeux des majorités parlementaires et gouvernementales de ce pays...

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