De 3400 à 765 offices postaux en Suisse : Poste Lucem Tenebrae ?


Il y a quinze ans, il y avait encore 3400 offices postaux en Suisse. Dans trois ans, il ne devrait plus en rester que 765, et 459 sont aujourd'hui directement menacés de fermeture. La Poste dit négocier avec les cantons et les communes, mais cette négociation se fait comme on tronçonne : La Poste négocie avec chaque canton, chaque commune, sur les offices qu'elle veut supprimer sur leur territoire -mais aucune négociation nationale ne se fait. On divise pour régner, on sépare pour fermer, on donne la liste des offices menacés à des jours différents pour entraver la naissance d'une protestation nationale, on discute, comme à Genève, avec le Conseil d'Etat sans tenir compte des communes... On a failli en débattre hier soir au Conseil municipal de Genève -mais pour la droite, il était plus important et plus urgent de faire voter par le Conseil municipal un crédit pour améliorer la zone VIP de la patinoire des Vernets que de lui permettre de dénoncer la fermeture d'offices postaux et le refus de La Poste d'entamer de véritables négociations sur son redéploiement. Heureusement, l'exécutif municipal, lui, a pris position...

De la logique du service public aux réflexes d'épiciers.

En juin 2013, La Poste cessait d'être une entreprise publique pour devenir une société anonyme. Elle promettait que ce changement de statut ferait d'elle une entreprise "compétitive" tout en assurant le service au public qu'on attend d'elle, et que la loi lui impose d'assurer. Compétitive, en effet, elle l'est : plus de 550 millions de bénéfice net en 2016. Et un salaire d'un million pour sa directrice. Quant au service au public, les annonces de suppressions de bureaux de poste et de sous-traitance des services de base à des épiceries, des pharmacies... ou à des robots, en mesurent assez exactement la réalité. A Fribourg et dans le Jura, c'est près  de la moitié des offices postaux qui sont menacés (24 sur 56 à Fribourg, 15 sur 31 dans le Jura), dans le canton de Vaud, à Neuchâtel et en Valais c'est un tiers (49 sur 127 en Vaud, 14 sur 39 à Neuchâtel, 22 sur 65 en Valais), à Genève c'est un quart (12 sur 47). On frappe d'abord les petites communes et les régions périphériques, on épargne un peu les grandes villes (deux offices "seulement" sont menacés en Ville de Genève, celui de la rue du Stand et celui de Malagnou), et on ne donne aucune clef de compréhension utilisable des charrettes qu'on prépare (pourquoi, à Genève, fermer la poste de Châtelaine, un quartier en pleine expansion, ou celle de Veyrier, devenue une ville, ou celle de Meinier, le seule restante pour plusieurs communes ?). Et on ne parle même pas de fermeture, on  n'admet pas un démantèlement : on parle de "transformation" et de "modernisation". On ne ment pas, on enfume. On embrouille. On promet 4200 "points d'accès", en additionnant les bureaux de poste survivants, les commerces privés transformés en agences postales, les points de dépôts et de retraits, les automates à colis... ne manquent que les boîtes aux lettres. Et quand la population proteste, on se défausse sur les communes : si elle veulent maintenir des offices postaux menacés, elles n'ont qu'à payer. On croirait entendre le PLR cantonal s'adressant à la Ville pour qu'elle augmente sa subvention au Grand Théâtre. De la logique et des principes du service public, on est passé à des réflexes d'épiciers.

L'Union des villes suisses appelle la Poste à un dialogue avec les cantons et les communes, le Conseil administratif de Genève a dénoncé la politique de feu le service public postal, les syndicats la condamnent également, Syndicom, qui demande un moratoire sur la fermeture des bureaux de poste, rappelle que les "points d'accès" n'offrent qu'une petite partie des prestations des bureaux et que le personnel qui assure ces prestations réduites ne bénéficie pas des droits du personnel statutaire de l'entreprise. A ces dénonciations, ces oppositions, ces condamnations, La Poste ne répond que par un mépris souverain -et le Conseil fédéral par un silence d'ermite. La droite du Conseil municipal, lui, a préféré affecter le temps qu'il pouvait accorder à cet enjeu... à l'urgence d'une amélioration du confort des spectateurs VIP des matches de hockey aux Vernets.

En 1999, à Genève, les habitants de Saint-Jean s'étaient victorieusement opposés, en l'occupant, à la fermeture de la Poste de Saint-Jean. Il y a de ces petits feux qu'il va sans doute falloir ranimer.

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