Petit coup de mou pour Macron


En marche, cahincaha...

D'abord, pour l'anecdote locale, reconnaissons qu'il a bien choisi le moment, et bien choisi la date, pour annoncer la création de son nouveau parti politique, Gominator : le 11 septembre, déjà lourdement plombé par le putsch militaire chilien et les attentats djhadistes aux USA, on pourra donc aussi célébrer la naissance de "Genève en Marche", proclamée par son fondateur, Eric Stauffer. Voilà pour la date. Et puis, le moment : c'est celui où l'"En Marche" de référence, celui qui s'est imposé en France (on pourra au passage doucement ricaner de cette prise de référence française pour un mouvement issu du vieux fonds francophobe genevois), subit un gros coup de mou, du moins dans les sondages. Aujourd'hui, à l'appel de la CGT, de Solidaires et de la FSU (mais ni de la CFDT, ni de Force Ouvrière, ni des "Insoumis"), 150 manifestations et des débrayages sont organisés dans toute la France pour dénoncer la réforme macronienne du Code du Travail. Mais Macron n'en a cure : ses opposants sont des "fainéants", des "cyniques" ou des "extrémistes"... et lui, oint des urnes, travailleur, bienveillant et modéré est prêt à les laisser défiler pendant ses cinq ans de règne, démocratique et républicain.


Quand Jupiter se fait Mercure

Le monarque républicain s'était adressé le 3 juillet, à Versailles (forcément), au Congrès (les deux chambres du parlement réunies) pour les gratifier d'un prêche d'une heure et demie, appelant à en finir avec le « cynisme », à retrouver « l'esprit de conquête », à sortir des « années immobiles » sans entrer dans les « années agitées ». "Je veux installer une République où la confiance partagée ira de pair avec les comptes que l'on y rendra" proclamait Macron. Soit. Le lendemain, c'est son Premier ministre qui présentait le programme du gouvernement à l'Assemblée nationale et en sollicitait un vote de confiance, sans risque de se la voir refuser vu la majorité dont le parti présidentiel dispose à la Chambre basse, face à une opposition balkanisée, dont la force principale, la droite démocratique des "Républicains", est elle même divisée entre "constructifs" et rancuniers, entre ceux qui sont prêts à travailler avec un gouvernement présidé par un homme qui fut des leurs, et ceux qui le rendent complice de la défaite cinglante de leur camp.

Deux mois plus tard, où on en est-on ? On en est à un gros coup de mou du président et du gouvernement dans les sondages, et à une mobilisation syndicale en ordre dispersé (suivie d'une mobilisation politique sans coordination avec elle) contre la réforme du Code du Travail, sans pour autant que Macron semble s'en préoccuper outre mesure : pour lui, son élection a tranché le débat sur les réformes qu'il proposait, comme si en votant pour lui, les Français avaient aussi voté pour son programme (quand une grande partie d'entre de ses électeurs de la présidentielle ont moins voté pour lui que contre Le Pen). L'onction du suffrage universel prime tout le reste, les saintes huiles des urnes les slogans des manifs et si le monarque ne suscite pas l'enthousiasme, ses opposants non plus. Mais sans doute se méritent-ils l'un et les autres.

Il est vrai que l'ambiance générale en France, si elle n'est pas d'un optimisme délirant, est plutôt à l'attentisme qu'à l'insurrection citoyenne rêvée par Mélenchon : toujours selon les sondages, à prendre évidemment avec toutes les précautions qui s'imposent, une majorité de Français pensent que les réformes macroniennes auront des conséquences positives sur l'emploi. Et puis, le taux de chômage est (légèrement) à la baisse pour la première fois depuis cinq ans, et la croissance est (légèrement) à la hausse. La nature (précaire et mal payée) d'une grande partie des nouveaux emplois créés, l'inégalité de la répartition des "fruits de la croissance", la persistance de la désertification sociale et économique des villes moyennes, et de régions entière, la scission de la France entre une "France qui gagne" et une "France qui perd" (euphémisme pour dire "lutte des classes"...) peuvent être opportunément soustraites à l'attention par un discours volontariste. En outre, sur le terrain social, Jupiter se fait Mercure et avance assez prudemment, malgré d'assez inexplicables écarts de langages (comme de qualifier ses opposants de "fainéants", de "cyniques" et d'"extrémistes" à qui il ne cèdera rien) : la réforme du Code du Travail telle qu'adoptée, et saluée par le patronat, si elle est clairement d'inspiration libérale, n'est pas un arasement des protections sociales. C'est ainsi que les 35 heures hebdomadaires de travail restent une référence légale -mais elles pourront être renégociées au sein des entreprises, que l'exonération des charges sur les heures supplémentaires est reportée, et qu'une réforme de l'assurance-chômage en garantira l'accès aux salariés démissionnaires et aux indépendants.

Dans le domaine des relations de travail, d'emploi, de salariat, Macron et son gouvernement prônent le "dialogue social", le "partenariat social", le primat du contrat sur la loi -comme en Suisse, est-on tenté d'ajouter. La loi ne jouerait plus alors "que" le rôle d'une loi-cadre, posant les principes, les règles fondamentales, les protections minimales, les négociations de branche ou d'entreprise réglant tout le reste. Mais pour que cela ait un sens, que cela puisse fonctionner, que cela soit solide, il faut des partenaires solides, des organisations patronales et des organisations syndicales de travailleurs fortes, représentatives, cohérentes. La loi peut s'en passer : elle tombe d'en haut, du gouvernement, de l'Etat, et s'impose (ou est supposée s'imposer) quel que soit l'état des acteurs sociaux. Le contrat, lui, ne peut être passé entre des partenaires défaillants. Or le syndicalisme français est malade de sa faible représentativité : le taux de syndicalisation en France, dans le secteur privé, n'atteint pas 5 % des travailleuses et des travailleurs -et tous les adhérents ne sont pas militants. Les choix syndicaux sont donc fait par des militants peu nombreux, au nom d'adhérents peu nombreux. La décision de signer ou non un accord collectif ne reposerait ainsi que sur une base étroite, alors même que cet accord s'appliquerait à tous les travailleurs de l'entreprise ou de la branche.

Il y a en outre cet apparent paradoxe, que plus les syndicats sont forts, plus ils sont représentatifs (quantitativement) des travailleurs, moins ils sont radicaux dans leurs pratiques (ce qui ne les empêche cependant pas forcément de l'être dans leurs revendications), même s'ils peuvent, comme des syndicats plus faibles, plus minoritaires, recourir à des moyens conflictuels de lutte collective (la grève, le boycott...). Cette règle, qui a évidemment ces exceptions (en Espagne, dans les années trente, le syndicats le plus puissant était la CNT anarchiste...), se double en France d'une autre : ce sont dans les secteurs ou les travailleurs sont les mieux protégés (les secteurs publics) que les taux de syndicalisation sont les plus forts, et le discours syndical le plus radical.

Se syndiquer, c'est participer à une réflexion et à une action collective. Autrement dit : c'est faire acte de citoyenneté. Le meilleur barrage qui soit au populisme, d'une part, au césarisme, d'autre part -et ces deux parts ne sont pas forcément contradictoires : les populismes ont plus souvent le culte du chef que la culture de l'insoumission...

Commentaires

Articles les plus consultés