«Pour une politique culturelle cohérente à Genève»


Une évidence à imposer

Une initiative populaire cantonale «Pour une politique culturelle cohérente à Genève» a été lancée par un groupe d'acteurs culturels, le 30 août dernier. Elle  propose d'inscrire dans la constitution genevoise les conditions d’une nouvelle politique culturelle, fondée sur une collaboration active entre les communes, les villes et le canton. Les initiants souhaitent que le canton coordonne, en concertation avec les communes, une politique culturelle dans les domaines de la création artistique (production et diffusion), du patrimoine, de l’accès à la culture et des appuis aux institutions et co-finance la création artistique et les institutions culturelles. Cette initiative s'inscrit, évidemment, dans le débat sur la "nouvelle répartition des tâches", après que le mouvement "Culture Lutte", pour qui les acteurs culturels se sont "fait avoir" par une négociation qui s'est faite"dans leur dos", ait diffusé une lettre ouverte, signée par 400 acteurs et actrices culturels genevois, alertant sur les conséquences du pseudo "désenchevêtrement" des tâches et actions culturelles entre les communes (à commencer par la Ville) et le canton.  Pour les initiants comme pour "Culture Lutte" et comme pour la gauche genevoise, il conviendrait à Genève que la politique culturelle se mène en assumant le  "faire ensemble" plutôt que le "chacun chez soi". Une évidence ? Sans doute. Mais on est à Genève, où les évidences ont parfois quelque peine à s'imposer. Alors si une initiative peut y concourir... Des listes de signatures peuvent être téléchargées sur
http://prenonslinitiative.ch/

Sous la répartition des tâches se niche, précautionneusement, l'épuration culturelle.

Dans une "déclaration conjointe" du 18 novembre 2015, la Ville et le canton annonçaient qu'un "désenchevêtrement" sera effectué dans le champ cuélturel pour les institutions "intermédiaires", l'aide à la création dans les arts de la scène, l'aide à la diffusion et au rayonnement, la politique du livre, les musées et diverses institutions jusque là financées à la fois par la Ville et le canton. Et cette "première phase" du "désenchevêtrement" dans le champ culturel interviendrait "dans le cadre du budget 2017"... Suivait, dans la déclaration, une liste dont on vous fait grâce, sauf à en relever l'incohérence, des bénéficiaires de subventions de la Ville qui seront reprises par le canton, de bénéficiaires de subventions du canton qui seront reprises par la Ville et de bénéficiaires de subventions croisées qui continueront à en être bénéficiaires, les "questions qui fâchent" (le Grand Théâtre, l'OSR, la Bibliothèque de Genève... mais surtout pas le Musée d'Art et d'Histoire...) étant remises à traitement ultérieur. Ces contradictions se retrouvent dans la loi : elle ne transfère pas les "grandes institutions" au canton, puisque la Nouvelle Comédie est remise intégralement à la Ville, que le MAH y reste, et que le sort du Grand Théâtre est pour le moins nébuleux. En ce qui concerne les domaines culturels, la cohérence de la répartition des tâches est tout aussi contestable : le théâtre va à la Ville, le cinéma au canton. La politique du livre passe au canton, les bibliothèques restent à la Ville. Et les conséquences de cette répartition sur la politique culturelle, son contenu, ses choix, pourraient bien se révéler perverses : ainsi, en faisant de la Ville le seul subventionneur du domaine théâtral, on contraint les deux théâtres publics (le Grütli et la Comédie) et les théâtres privés subventionnés, non seulement à ne plus dépendre désormais que d'une seule source de financement stable, mais aussi à devoir financer eux-mêmes les invitations à des compagnies extérieures (étrangères ou non).

Les initiants de "pour une politique culturelle cohérente à Genève" ne sont certes pas opposés à un désenchevêtrement, là où il y a quelque chose à "désenchevêtrer", ils sont opposés au "désenchevêtrement" dont a accouché la "nouvelle répartition des tâches" mise en oeuvre entre le canton et la Ville. L'enjeu, finalement, est assez clair : il s'agit d'éviter que la Ville et les autres communes menant réellement une politique culturelle se retrouvent seules ou presque à assumer le soutien à la création, pendant que l'effort du canton se concentre sur les grandes institutions (et encore, pas toutes : le fonctionnement de la Nouvelle Comédie sera entièrement à la charge de la Ville, et une majorité de droite de la commission du Grand Conseil refuse le projet du Conseil d'Etat d'accorder une modeste subvention cantonale au Grand Théâtre). Il s'agit aussi d'affirmer la nécessaire complémentarité entre les diverses sources de financement publiques, ce que d'ailleurs la loi cantonale sur la culture recommande. Certes, comme l'a relevé Sami Kanaan dans une réponse à la lettre ouverte de "Culture Lutte", la nouvelle répartition des tâches (LRT) en matière culturelle, si elle s'inscrit "dans un contexte politique particulièrement difficile pour la culture", avec des offensives constantes de la droite cantonale et de la droite municipale contre les budgets et contre les projets culturels (ainsi le PLR municipal a-t-il refusé d'entrer en matière sur l'installation d'un Pavillon de la Danse contemporaine...), mais, ajoute-t-il, "elle n'en est pas la source". Elle en est plutôt, en effet, le produit, et l'expression.

Dans ces conditions, et dans le rapport de force politique qui règne à Genève (surtout au niveau cantonal), c'est sans doute à tort que l'on prend les grandes institutions culturelles comme l'enjeu principal du débat. En réalité, le Grand Théâtre, la Nouvelle Comédie, l'OSR, le MAH, n'ont pas grand chose à craindre : nul ne se risquera à les mettre en réel danger -on se contentera de les mettre en difficultés, sans d'ailleurs que cela procède d'une stratégie délibérée : l'incompétence, l'inconsistance et l'inconstance y suffisent. Il en va tout autrement de la culture émergente, expérimentale : sur celle-là, ses lieux, ses acteurs, ses créateurs, et son public, pèse la menace d'une "rationalisation" administrative et technocratique sans projet culturel, mais avec, toujours, à droite, une sorte d'arrière-pensée : concentrons-nous sur les lieux de prestige (ou "d'excellence") et laissons tomber ses agitateurs et ces agitatrices dont le public n'a aucun intérêt électoral.

Sous la répartition des tâches se niche, précautionneusement, l'épuration culturelle.

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