Réforme du système des retraites : Le nom du NON



Au Téléjournal, lundi, lle Conseiller fédéral Alain Berset faisait mine de s'étonner de l'"étrange alliance du patronat zurichois et de l'extrême-gauche genevoise" pour un "non" à la réforme des retraites soumise au vote dimanche prochain. Doit-on lui répondre (après avoir pris note que pour lui la totalité des syndicats genevois, qui disent aussi "non", comme d'ailleurs le PS genevois, sont d'"extrême-gauche") en s'étonnant à notre tour de l'"étrange alliance de l'Union Syndicale Suisse (et du PS suisse) et du patronat romand" autour du "oui" ?  On préférera ici dire les mots du nom de notre NON : "report de l'âge de la retraite des femmes".

Il n'y a que le premier faux pas qui coûte

On vit aujourd'hui, en moyenne, onze ans de plus qu'en 1948, lorsque l'AVS avait enfin, trente ans après la Grève Générale qui la revendiquait, été créée, et que l'âge de la retraite correspondait grosso modo à l'âge moyen du décès. Le rapport entre rentiers et cotisants est passé dans la même temps de 6,5 à 3,4. Cette évolution est invoquée comme justification, ou comme prétexte, d'un report de l'âge de la retraite de tout le monde, femmes et hommes, mais femmes d'abord, alors qu'elle n'est qu'une justification d'un renforcement du financement des retraites -d'autant que l'espérance de vie augmente moins vite que le produit intérieur brut, et que l'on crée donc chaque année plus de richesses supplémentaires que ce qui est nécessaire au rééquilibrage de l'AVS. Dans PV2020, ce rééquilibrage se fait surtout par le passage de la retraite des femmes de 64 à 65 ans alors qu'il pourrait se faire par un impôt direct sur les plus-values, les grosses fortunes ou les hauts revenus. Choisir l'une ou l'autre de ces solutions relève d'un choix politique, et donc d'un arbitraire, pas d'une fatalité démographique : le produit intérieur brut augmentant quatre fois plus vite que l'espérance de vie, l'économie produit des ressources supplémentaires dont une part pourrait être affectée à la consolidation du premier pilier, le seul qui vaille, du système des retraites.

"La réforme Prévoyance vieillesse 2020" vise à garantir les rentes et à adapter la prévoyance vieillesse aux évolutions de la société", explique le Conseil fédéral. L'allongement de l'espérance de vie des hommes et des femmes implique certes un renforcement du financement du système des retraites, mais le report d'un an de l'âge de la retraite des femmes, en ne relevant que d'une décision politique, est le produit d'un rapport de force politique, non de la prise en compte de l'évolution sociale (démographique) et économique. Le rapport de force eût-il été autre, le projet aurait été autre. Cette détermination du projet par le rapport de force politique explique d'ailleurs le soutien que lui apportent les directions nationales du PS et des syndicats : ce rapport de force est tel au parlement fédéral, si défavorable à toute solution progressiste, qu'il était illusoire d'attendre mieux que ce qui est proposé, et illusoire d'attendre d'un refus du projet PV2020 que le jour d'après soit celui de la conception d'un projet qui corresponde à nos attentes et pas à celles de la droite, et puisse être adoubé par un parlement où à eux seuls l'UDC et le PLR disposent de la majorité absolue dans la Chambre basse. Les parlementaires socialistes et verts qui ont, en s'alliant au PDC, fait passer PV2020 contre la droite et l'extrême-droite ont fait leur travail -mais le travail des parlementaires n'épuise pas le champ du travail politique, et dans ce pays le parlement n'est pas la démocratie à lui seul. Il y a le peuple, il y a les référendums, il y a les initiatives. Et puis, surtout, ce qui s'explique, se justifie et s'admet comme le résultat le moins mauvais possible au parlement, n'efface pas le prix que la gauche (toute la gauche, même celle qui appelle à voter OUI) aurait à payer si elle admettait qu'après-tout, repousser l'âge de la retraite des femmes est une bonne monnaie d'échange pour une augmentation de 70 francs des rentes AVS à venir. Ce prix que la gauche aurait à payer, c'est celui de sa décrédibilisation -et de son affaiblissement dans les affrontement à venir sur les futures révisions du système de retraite. Car futures révisions, il y aura, de toute façon, quel que soit le résultat du vote de dimanche : nul, ni les partisans de PV2020 ni ses adversaires, ne tient son éventuelle acceptation pour une décision pérenne : L'AVS n'a certes pas été réformée depuis vingt ans, mais la réforme qui nous est proposée ne donne, de l'aveu même de ses défenseurs, que le temps nécessaire à d'autres réformes, et dans dix ans il faudra remettre l'ouvrage sur le métier. Alors, les forces qui, à gauche, auront accepté de reporter d'un an l'âge de la retraite des femmes seront bien moins convaincantes, et sans doute même bien moins convaincues, lorsqu'il s'agira de refuser de le reporter de deux ans pour tout le monde.
Un recul aujourd'hui sur l'âge de la retraite, ne peut-être présenté comme le présage d'une avancée demain. Ni même comme l'annonce d'une résistance à d'autres reculs, dont on sait pertinemment qu'ils nous seront proposés, et dont nous savons aussi que nous aurons à les combattre (notamment par voie référendaire).
Il n'y a que le premier pas qui coûte. Et quand ce premier pas est un faux pas, il peut coûter très cher.

Commentaires

Articles les plus consultés