Macron parle. Beaucoup. Mais pour dire quoi ?


Moi Je...

Pour un président dont on pensait (et qui avait lui-même laissé croire) qu'il allait cultiver la "parole rare" qui sied à la posture jupitérienne, et en tout cas qu'il allait parler moins que son prédécesseur (qui, il est vrai, parlait trop), Macron parle beaucoup. Pas toujours clairement, et même parfois fort trivialement, mais beaucoup plus que ce qu'on attendait. Mais qu'attendait-on, au juste ?
Il y a en tout cas dans le discours macronien un fil conducteur, une revendication constante : celle d'être le chef. Le seul. Et donc, de pouvoir dire ce qu'il veut, comme il veut, quand il veut, à qui il veut. Et avec les mots qu'il veut : "foutre le bordel" ou "poudre de perlimpinpin", selon le lieu, l'humeur et l'interlocuteur, mais en assurant toujours tenir "un discours de vérité" contrairement aux "élites politiques" tenant un "discours aseptisé". Et que dit ce "discours de vérité" ? Il dit : je sais ce qu'il vous faut, quand vous même ne le savez pas; je vais réformer, même si vous ne le voulez pas ou que vous combattez les réformes que je propose. Et si vous vous opposez, c'est que vous êtes animés de "passions tristes", comme la peur ou la jalousie. On est quelque part entre le messianisme et le populisme. Et surtout, on est en pleine Ve République, plus gaulllienne encore que gaulliste. Churchill ironisait sur de Gaulle : "il se prend pour Jeanne d'Arc". Macron, lui, se prend pour plus encore : il se prend pour Macron. Et si on pouvait résumer tous ses discours en deux mots, ce serait : Moi je...


Macron préside un pays qui n'aime rien tant que brûler aujourd'hui ce qu'il paraissait adorer hier...


"On n'aime pas la gentillesse, chez nous. Il y a tellement d'amertume dans ce pays qu'il est devenu une mare de bile où les Français plongent comme hindous dans Gange, béats de leur écoeurement, ignorant qu'ils se noient. Peuple de courtisans, peuple de vaincus, peuple de mesquins", écrit Charles Dantzig dans le hors-série du "Monde" sur "Arthur Rimbaud, le génial réfractaire". Macron, sans doute, partage cette vision du pays qu'il préside et du peuple qui l'a élu. Et leur propose un étrange cocktail de césarisme étatiste et de libertarisme post-soixante-huitard, en le présentant comme l'apport d'une "nouvelle génération" (la sienne) capable de renvoyer les anciennes sinon dans les poubelles, du moins dans les hospices de l'histoire.

Pour autant, le clivage gauche-droite, quoi qu'on en dise, continue de structurer le paysage politique français, même s'il le structure différemment, disons plus culturellement que socialement, et même, selon certains analystes, "psychologiquement", avec dans chaque camp un second clivage, interne, opposant réformistes et conservateurs, voire réactionnaires, les révolutionnaires étant, à droite (car il y a des révolutionnaires de droite : les fascistes...) comme à gauche, hors du champ, ou dans ses marges. Et on se retrouve ainsi avec d'un côté une gauche économiquement conservatrice et culturellement progressiste (les Insoumis, la gauche du PS) et une autre gauche économiquement libérale et culturellement libertaire (la droite du PS et la gauche de Macron), face à une droite économiquement libérale et culturellement conservatrice (les Républicains), et à une autre droite économiquement conservatrice et culturellement réactionnaire (le Front National), qui occupe l'espace que lui laissent la gauche et la droite "libérales". Cela brouille les cartes, sans doute, et les redistribue, mais ne les change pas, si cela le dispose autrement.

Macron, cependant, devrait se méfier : la France fonctionne au conflit, à l'affrontement, son moteur est un moteur à explosion, son identité est contradictoire et elle n'aime rien tant que révoquer les quelques grands personnages qui purent croire, un temps, avoir fait l'unité du pays. Pour en rester à des temps que purent vivre nos parents ou nos grand-parents, les foules qui acclamèrent De Gaulle en 1944 à Paris y acclamaient Pétain quelques mois plus tôt. Les électeurs qui donnèrent à De Gaulle en 1968 une majorité parlementaire massive lui refusèrent un an plus tard la réforme qu'il leur proposait, et il en tirait la conséquence annoncée de sa démission. Les Français élisent Giscard contre Mitterrand en 1974 mais Mitterrand contre Giscard en 1981. Mitterrand est réélu contre Chirac en 1988 mais Chirac succède à Mitterrand sept ans plus tard. Sarkozy est élu en 2007 mais battu en 2012 par Hollande, qui renonce à se représenter en 2017 faute d'avoir la moindre chance d'être réélu...  A chaque élection présidentielle depuis 1981, à l'exception des présidentielles de 1988 et de 2002 (réélections de Mitterrand et de Chirac), le peuple souverain "sort le sortant", d'une manière ou d'une autre (en le défaisant à l'élection ou, innovation récente, en le contraignant à ne pas se représenter. Mais en même temps, il aime donner sa chance au président qu'il élit, en lui accordant une majorité parlementaire, parfois écrasante, et -vertu du scrutin majoritaire quand au deuxième tour une majorité relative suffit- disproportionnée du rapport des forces politique réel. Ce qui ne l'empêche pas, depuis l'introduction du quinquennat, qui lie le président à une majorité parlementaire (et donc à un  Premier ministre) même quand celle-ci (et celui-ci) est du camp adverse, de sanctionner le président lui-même, en le réélisant pas (Sarkozy) ou en le contraignant à ne pas se représenter (Hollande), les seuls présidents de la République réélus pour un deuxième mandat, Mitterrand et Chirac, étaient des présidents à mandat septennal.
Macron n'est pas élu à vie, mais pour cinq ans, et il préside un pays qui n'aime rien tant que brûler aujourd'hui ce qu'il paraissait adorer hier...

Commentaires

Articles les plus consultés