Migrations : Le fond de la mer pour les morts, la géhenne pour les vivants



Dans les six premiers mois de 2017, 85'000 migrants ont débarqué en Italie. Dans le seul week-end de Pâques, près de 9000 personnes ont été secourues par les garde-côtes italiens ou les bateaux des organisations humanitaires.Et de janvier à la mi-août, 2300 personnes sont mortes, noyées, entre l'Afrique du nord et l'Europe du sud.  A l'appel de l'Italie, mais sans pour autant accepter toutes ses demandes, les 28 Etats de l'Union Européenne ont, début juillet, promis d'agir pour tenter d'endiguer ce flux de migrants africains qui, partant de Libye, traversent la Méditerranée pour, quand ils n'y sombrent pas, arriver sur les côtes italiennes, souvent en étant secourus en mer par les bateaux des ONG.  Mais les Etats européens qui auraient pu le faire (la France, l'Espagne, notamment) n'ont pas répondu favorablement à la demande italienne d'ouvrir l'accès de certains de leurs ports (Marseille, Barcelone, notamment) aux navires secourant les migrants en mer. Les Européens se sont contentés de décider d'un engagement accru envers la Libye et les pays de transit ou de départ des migrants (principalement le Nigeria, le Niger, le Bangladesh, la Guinée, la Côte d'Ivoire, la Gambie), et dans le catalogue de mesures de dissuasion européennes, on chercherait en vain quelque chose qui ressemble, même de loin, à un engagement commun des Etats européens de se répartir entre eux, et entre eux tous, la charge de l'accueil des migrants. On cherchait avec la même certitude de de rien trouver quelque chose qui garantisse qu'en Libye, où on veut les faire retourner, les migrants subsahariens seront traités autrement que comme du bétail : entassés dans des conditions sordides, rackettés, torturés, violés et violées, asservis.  Mais au moins n'auront-ils pas mis le pied en Europe. C'est tout ce qu'on cherche, et qu'on obtient : le fond de la mer pour les morts, la géhenne pour les vivants.

Nous sommes d’une Cité, pas d’un camp retranché

De la plèbe, aujourd’hui, qui est l’incarnation la plus pure, la plus évidente, sinon le migrant nous venant du bout du monde ? Et qu’est-il, ce migrant, pour les population des pays où il finit par débarquer, quand il ne s’est pas noyé en traversant la Méditerranée, sinon ce que chacun des habitants de nos pays craint de devenir à la défaveur de quelque crise profonde ? Chassés de chez eux par la misère, ou la guerre, ou l’oppression, ou la montée des eaux, ils ne réclament de nous que ce que tous nos discours proclament comme des devoirs, et que nos pratiques leur refusent : l’accueil, le droit à la dignité, à un toit, un travail, une éducation, une famille… Leur refuse-t-on ces droits pour une autre raison que celle que nous avons peur, non d’eux mais de ce que nous pourrions à leur image devenir, ou redevenir ?

Ainsi observe-t-on le retour aux franges de la gauche du culte de la frontière, non comme délimitation symbolique de « nous » et des « autres », mais comme barrière contre ces « autres » en quoi nous refusons de nous voir. Que la fermeture des frontières européennes, et de chaque Etat européen, qu’il soit ou non membre de l’Union Européenne, ait pour conséquence la mort de milliers de personnes en mer et l’entassement de dizaines de milliers d’autres dans des conditions inacceptables, est une évidence –mais la rappeler semble inaudible, y compris à quelque part de celles et ceux qui naguère faisaient leur le slogan « les frontières, on s’en fout ».
La solidarité internationale en actes, ici et maintenant, ne peut se passer d’être traduite en une solidarité avec les migrants. C’est à contre-courant ? certes. Mais le sens du courant, c’est celui qui trimballe les poissons morts et qui auourd’hui trimballe le fantasme de l’invasion migratoire. Un fantasme a toujours la vie dure. Et peut se cultiver. Celui-là, précisément, se cultive : ceux qui l’entretiennent y trouvent forcément intérêt. Mais ceux qui le laissent prospérer, quel intérêt peuvent-ils bien trouver à leur passivité, ou leur complicité ?
Nous, nous sommes de ceux qui ouvrent les portes, pas de ceux qui les ferment.
Nous sommes de ceux qui enjambent les barrières, pas de ceux qui les posent.
Nous sommes de ceux qui contournent les murs, pas de ceux qui les édifient.
Nous sommes d’une Cité, pas d’un camp retranché.
Nous sommes d’un pays, pas d’une tribu.

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