Combats de fantômes en burkinis dans les piscines genevoises


Le genou de la baigneuse, c'est Verdun !

Clapotis dans les bassins : le règlement municipal sur les installations sportives de la Ville de Genève a été modifié :  le nouveau règlement se contente de poser des règles générales, applicables aux femmes comme aux hommes, avec comme règle de base que les tenues autorisées dans ces lieux de bain doivent être des tenues de bain. Comme les tenues autorisées sur les pistes de skis devraient être des tenues de ski, si un règlement municipal genevois avait quelque pertinence dans la poudreuse. Etre en tenue de bain dans un lieu de bains, à un esprit simple comme celui de l'auteur de ces lignes, cela paraît à la fois logique et suffisant. Mais pas à la droite et à l'extrême-droite du Conseil municipal, qui s'en sont étouffées d'indignation et ont brandi la menace d'un déferlement de "burkinis" (des tenues de bain couvrant le corps), parce que le nouveau règlement ose l'impensable : il n'oblige plus les femmes à se découvrir les bras, les genoux, les chevilles et les pieds. Ni même à se couvrir les seins. Il ne les oblige plus qu'à se baigner en tenue de bain. Comme les hommes. Et il les autorise à choisir leur tenue de bain. Comme les hommes peuvent la choisir. Invraisemblable laxisme, tout fout le camp, Il est urgent de réagir, de restaurer les vraies valeurs. Exhumant un "avis" anonyme supposé être celui du Service des Sports, la droite et l'extrême-droite municipales genevoise proposent donc  de réintroduire l'interdiction de la couverture des bras des femmes et des genoux de tout le monde, en même temps d'ailleurs que l'interdiction de la découverture des seins des femmes (on notera toutefois deux lacunes : aucune couleur n'est prescrite, aucune texture non plus. Tant qu'à faire, la droite aurait pu y penser). Ainsi l'essentiel est-il sauf : les hommes pourront aller à la piscine en short et les bras couverts, les femmes ne pourront pas y aller en maillot une pièce couvrant les bras et les genoux (burkini ou non), à supposer qu'elles en aient l'intention : le cas ne s'est d'ailleurs produit que deux fois. Mais  c'est deux fois de trop, c'est une brèche, une percée, la prise de Douaumont. Car c'est au nom de la lutte contre l'intégrisme religieux islamique qu'on veut faire prendre le genou des femmes pour Verdun. Et le bras des dames, pour le chemin des Dames. Et elles ne passeront pas ! Elles, pas ils : eux, ils passeront toujours : comme d'habitude, c'est aux femmes qu'on impose en réalité ces normes, pas aux hommes.


Le lieu du combat contre le fondamentalisme religieux ce n'est pas le genou ou les bras des femmes, mais leur tête -et celle des hommes

Les intégristes religieux n'exècrent rien tant que la liberté -les libertés. Et n'aiment rien tant, et ne produisent rien tant, que des interdictions et des obligations. Ne leur répondra-t-on qu'en inversant simplement leurs interdictions en obligations, et leurs obligations en interdictions ? En prescrivant la nudité là où ils prescrivent l'empaquetage, et en interdisant le voile là où ils l'imposent ? Rien ne ressemble plus à une prescription vestimentaire que la prescription vestimentaire inverse : imposer le port du voile et l'interdire, cela se vaut. Interdire aux femmes de montrer leurs bras et leurs jambes à la plage ou à la piscine, ou les obliger à les montrer, cela se vaut. Contraindre ou interdire procède du  même rapport d'autorité. On peut certes prétendre « interdire par défense de la liberté » : c'est le « pas de liberté pour les ennemis de la liberté » de Saint-Just, mais cela impliquerait que l'on punisse ceux qui imposent à des femmes de s'empaqueter dans une burqa ou de s'emballer dans un burkini, plutôt que ces femmes elles-mêmes. Or l'interdiction prônée par la droite et l'extrême-droite, c'est bien aux femmes et à elles seules qu'elle va s'appliquer, et ce sont elles seules qui seront punies si elles ne s'y plient pas -comme ce sont elles seules que les intégristes punissent si elles ne se plient pas à leurs propres interdictions.  A qui s'en prend-on quand on Interdit le burkini (et du même coup le topless) au nom de la lutte contre le fondamentalisme religieux islamique ? Aux pères, aux maris, aux frères, aux fils qui imposent à leurs filles, leurs femmes, leurs soeurs, leurs mères de se couvrir jambes et bras ? Non : on s'en prend à ces filles, ces femmes, ces soeurs, ces mères. C'est à elle, évidemment, que l'interdiction va s'appliquer. A elles, pas à eux. Quand aux plus radicalisée des plus intégristes, elles n'en ont rien à battre du règlement des piscines publiques et mixtes : elles n'y mettent jamais le bout d'un orteil hallal.

La lutte contre les fondamentalismes religieux est un enjeu considérable. Cette lutte doit se mener non seulement au nom de la liberté, mais par elle -la laïcité ne vaudrait rien si elle n'était un moyen des libertés de conscience, d'expression, d'association -mais aussi de comportement, d'utilisation de l'espace public, et de choix de son apparence (même dans les piscines et sur les plages)... Croire que l'on pourra réduire les fondamentalismes religieux par des règlementations fétichistes portant sur des habillements ou des déshabillements, c'est se bercer d'une dangereuse illusion : en croyant incarner une lutte nécessaire, on la dévalue, avant que la ridiculiser -comme elle le fut lors de la bouffonne interdiction du burkini sur les plages françaises.

Sous le burkini se calfeutre évidemment moins le corps des femmes que la vieille volonté patriarcale de le posséder, le maîtriser, se le garder pour soi et sa famille, au prétexte de Dieu, du Prophète, du Livre ou quelque autre prétexte de la même barrique, et sous l'interdiction du burkini et du topless se niche la même prétention de décider comment les femmes doivent se vêtir ou se dévêtir. Quand l’Etat ou le prêtre se mêle de dire aux femmes comment se vêtir ou se dévêtir, ni l’un, ni l’autre n'est motivé par autre chose que par le dur et vieux désir de contrôle du corps des femmes, et par l’interdit fait aux  femmes d’en disposer à leur guise.

Le lieu du combat contre le fondamentalisme religieux et ses avatars politiques, ce n'est pas le genou ou les bras des femmes, mais leur tête, et celle des hommes. Et ces têtes  contiennent encore assez de servitude volontaire pour qu'on puisse consacrer un peu plus d'énergie et d'inventivité à la dissiper que celle que l'on perd à la nourrir par des interdictions vestimentaires, fussent-elles balnéaires, aussi stupides et discriminatoires que les prescriptions pseudo-religieuses, et en réalité purement tribales, auxquelles elles prétendent répondre.

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