Politique des transports à Genève : Maudite mobilité ?


Et le petit monde politique genevois de s'interroger gravement : mais à quel (ou quelle) Conseiller (ou Conseillère) d'Etat confier le dossier de la "mobilité" (de la politique des transports, pour être clair), après la débâcle de son précédent titulaire, Luc Barthassat ? : Depuis la fin du mandat du socialiste Bernard Ziegler, ce dossier, ce département, serait maudit. Foutaise.Si quelque chose est "maudit", c'est la tentative de mener une politique des transports qui ne fasse pas de choix entre les différents modes de transports. Qui refuse de prioriser réellement les transports publics, qui croit pouvoir faire circuler (et se parquer) tout le monde partout, de toutes les manières possibles : à pied, à vélo, en scooter, en bagnole, en bus, en tram, en train. Sur la voirie ordinaire, sur les trottoirs, sur les pistes cyclables, dans les zones piétonnes. Pour ne fâcher personne. Résultat : Les TPG sont les transports publics urbains les plus lents de Suisse. Et Genève est la ville la plus embouteillée de Suisse. Et les cyclistes continuent de risquer leur peau dans une ville en queue de classement suisse des aménagements les concernant.

En voyage politique aussi, le trajet le plus long est le franchissement de la porte pour partir...

Donc, les TPG sont les transports publics urbains les plus lents de Suisse. Et Genève est la ville la plus embouteillée de Suisse. Et il y a évidemment entre ces deux constats un lieu d'effet à cause. Certes, la densité des arrêts par km2, en surface brute, apparaît plus élevée à Genève qu'ailleurs 9,8 arrêts contre 7,3 à Bâle, 6,2 à Berne, 5,2 à Zurich et 4,7 à Lausanne), mais si on passe à une comparaison par km2 bâti (et donc peuplé), elle se retrouve dans la norme avec 12,9, contre 12,8 à Lausanne, 9,9 à Zurich, 9,4 à Berne et 9,3 à Bâle. Et si on utilise une comparaison en fonction de la population (nombre d'arrêts pour mille habitants), Genève a la densité d'arrêts la plus basse des dix principales villes de Suisse (parce qu'elle a la densité de population la plus élevée) : 0,8, contre 1,0 à Bâle, 1,2 à Zurich, 1,5 à Lausanne et Berne. La loi fixe une distance maximale de 300 mètres entre les arrêts, en zone urbaine, mais comme toute norme de ce genre, celle-ci devrait être adaptables aux situations : une ligne desservant des EMS a besoin d'arrêts plus proches les uns des autres qu'une ligne desservant des zones pavillonnaires, une ligne urbaine qu'une ligne de campagne. D'ailleurs, les lignes suburbaines s'arrêtent déjà moins souvent que les lignes urbaines, et le tram 14 moins souvent que le tram 12. La situation ne s'arrange d'ailleurs pas, puisque selon les TPG eux-mêmes, la vitesse commerciale des TPG (la rapidité des véhicules pendant leur service) a reculé de 0,6 % en 2017, que tous les types de véhicules (autobus, trolleybus, trams) sont plus lents sur presque toutes les lignes et qu'aucune grande ligne TPG n'atteint les 18 km/h de vitesse commerciale prévue par la loi.

Explication ? Genève est la ville la plus embouteillée de Suisse, du fait de la présence constante et massive de la circulation automobile : la saturation de ses axes de circulation entraînerait une augmentation de 36 % du temps de trajet, soit une perte de temps 38 minutes par jour et de 146 heures (soit plus de six jours) par an. On est évidemment loin de perdre autant de temps à Piogre qu'à Mexico (66 % de temps de trajet supplémentaire), Bangkok (61 %) et Djakarta (58 %), mais on perd plus qu'à New York (35 %), ou, plus proche de Genève par la taille, qu'à Zurich (31 %) Lyon (29 %). Et dans le classement des villes de moins de 800'000 habitants, Genève occupe le dixième rang, ex æquo avec Lisbonne,  du temps perdu dans les embouteillages, classement remporté par Lodz (51 %) et, ex æquo (vive la réunification de l'Irlande) Belfast et Dublin (43 %).

Dernière mauvaise nouvelle : Genève est, comme Lausanne, en queue de classement des villes suisses en ce qui concerne les aménagements cyclistes : pistes discontinues ou ramenant dans la circulation automobile (et même celle de camions), ou obstruées par des bagnoles en stationnement, ou utilisées par des scooters... Il n'y a que 29 % du réseau routier de la Ville qui bénéficie de pistes cyclables, il n'y a toujours pas de réseau public de vélos en libre service,  Et malgré tout, malgré les risques qu'on prend quand on le fait (69 cyclistes grièvement blessés en 2017), on se déplace de plus en plus à vélo à Genève (45 % de trajets supplémentaires en cinq ans) et 13 % des trajets en ville sont effectués à vélo, à pied, en trottinette ou en patins à roulettes.

Alors, qui, au Conseil d'Etat, pour prendre le "dossier de la mobilité" ? Un homme ou une femme de gauche, devant agir dans un cadre constitutionnel absurde (la fameuse "liberté de choix du mode de transport"), un cadre légal écrit pour favoriser la bagnole, des financements cantonaux insuffisants pour la mobilité douce et excessifs pour le transport motorisé, un canton incapable d'obtenir des financements fédéraux, une répartition des compétences rendant les communes impuissantes face à un canton, dont certaines "priorités" viennent d'un autre temps, à l'instar de la traversée routière du Petit Lac. ? N'en jetons plus : c'est tout le gouvernement cantonal (et pas seulement un homme ou une femme qu'on enverrait au casse-pipe) qui devra s'atteler à changer le cadre même de la politique des transports, et à en convaincre une majorité du parlement (et sans doute du peuple).
En voyage politique aussi, le trajet le plus long est le franchissement de la porte pour partir...



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