Pour en finir (provisoirement) avec Mai 68



Le moment d'une révolution


C'est promis : dès demain, on ne vous reparlera plus de Mai 1968. Plus avant la célébration de son centenaire. Dans cinquante ans. Après tout, on n'aura que 116 ans. Un bel âge pour ratiociner, comme les pépés des années cinquante "Moi, j'ai fait Verdun"... "Moi, j'ai fait Mai68"... même si en réalité on n'a rien fait du tout, qu'on n'a que vu passer un mouvement qu'on ne comprenait pas, qu'on investissait de significations qu'il n'avait pas et d'espoirs qu'il ne pouvait que décevoir... Parce que ce n'était pas une révolution, mais seulement le moment d'une révolution qui avait commencé plus de dix ans avant, prit fin dix ans après et n'était ni Petrograd en 1917, ni Barcelone en 1936, mais Paris, Rome, Mexico, San Francisco ou Prague en 1968. Ou Genève, Lausanne, Zurich, Lugano ? Oui, aussi. Et de tout ça, on conversera ce soir, dès 18 heures 30, au 8 Lissignol, à Genève.


Cours, camarade, Mai '68 est derrière-toi !


La "Tribune (encore) de Genève" titrait un papier commémoratif du Mai68 à Genève : "une tranquille révolution". Tranquille, certainement. Mais "révolution" ? Tout de même, Mai 68 à Genève, ce n'était pas Mai 68 à Paris (et encore moins août 68 à Prague) : le mouvement était réformiste et revendiquait une radicalisation et une accélération de la démocratisation des études qu'au Conseil d'Etat André Chavanne menait de son côté.
Quant au Mai français, il faut bien admettre qu'il fut le moment de deux mouvements contradictoires, parallèles, qui ne se rejoignirent pas : un mouvement étudiant qui se rêvait révolutionnaire et un mouvement ouvrier (encadré encore par la CGT et le PC qui ne voulaient ni d'une révolution ni du pouvoir, d'autant que De Gaulle et son anti-atlantisme convenait parfaitement aux Soviétiques), s'assuma réformiste, et ne projetait certainement pas un bouleversement social et politique mais revendiquait de meilleurs salaires, d'une meilleure protection sociale, de libertés syndicales accrues -et les obtint. Les marxistes-léninistes se croyaient à Petrograd en 1917, les anars à Barcelone en 1936 -mais on était en France (ou à Genève...) et en 1968, et Geismar n'était pas Lénine, ni Cohn Bendit, Durrutti...
Enfin, il y a cet héritage : 1968 a déstatufié, déboulonné, les intellectuels comme maîtres penseurs, détenteurs d'une vérité, et les a poussé à s'engager dans des luttes de terrain, auxquelles ils apportent leurs connaissances, leur expertise, sur des enjeux concrets : Foucault, contre les prisons, par exemple. L'intellectuel ne parle plus à la place des autres, il parle (écrit) pour les combats des autres, et en fait ses combat en les menant avec eux. Foucault : "Le rôle d'un intellectuel n'est pas de dire aux autres ce qu'ils ont à faire. De quel droit le ferait-il ? Et souvenez-vous de toutes les prophéties, promesses, injonctions et programmes que les intellectuels ont pu formuler au cours des deux derniers siècles et dont on a vu maintenant les effets". Et Foucault de soutenir, même jusqu'à l'aveuglement (celui de son soutien à la Révolution islamique iranienne, notamment) toutes les causes contestant l'ordre établi, quelles que soient ces causes et quel que soit cet ordre : il s'agit de lutter contre le pouvoir. Contre tout pouvoir. Parce qu'il est un pouvoir. Il y a là bien plus de libéralisme que d'anarchisme, bien plus de révolte que de révolution. Et tant pis pour nos nostalgies...
Cours, camarade, Mai '68 est derrière-toi !

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