"Juges étrangers" : refuser un texte dangereux au prétexte qu'il ne changerait rien ?



Ne pas sous-estimer l'enjeu

Selon un sondage Tamedia, l'initiative udéciste dite "contre les juges étrangers" serait repoussée lors du scrutin prévu dans un mois et demi, par 50 à 53 % de "non" contre 41 à 45 % de "oui". L'opposition au texte serait plus forte en Romandie qu'en Alémanie. Le texte ne serait accepté qu'au Tessin (mais le sondage distingue les régions linguistiques, pas les cantons). Les femmes refuseraient l'initiative plus nettement que les hommes. D'entre les arguments convainquant une majorité de sondés de repousser la proposition de l'UDC, le plus cité serait celui de la capacité de la Suisse de décider déjà quels textes internationaux elle va signer, cette décision pouvant d'ailleurs être rendue au peuple par voie de référendum obligatoire au facultatif. Refusera-t-on l'initiative pour la première raison qu'elle ne changerait rien ? Ce serait se tromper sur l'enjeu, en le sous-estimant : un refus clair, net, sans bavure, de ce texte doit s'imposer -car s'il est stupide, il est tout de même dangereux : il ne s'en prend pas à la cible qu'il se donne (les fantômatiques "juges étrangers"), mais à une autre, bien plus précieuse : la garantie des droits humains fondamentaux par l'adhésion, non de la Suisse mais des Suisses à ces droits et aux textes qui les garantissent. Et là, on n'est plus dans le droit (international ou national), on est dans les droits des gens, d'ici ou d'ailleurs -dans la politique, au vrai et profond sens du terme.

Le droit d'avoir des droits


Il nous suffit pour appeler à la refuser que l'initiative udéciste dite "des juges étrangers" (mais l'UDC semble elle-même avoir renoncé à user de cette rhétorique pour faire campagne sur son texte) risque, si elle était acceptée, de contraindre la Suisse à dénoncer la Convention européenne des droits de l'homme (une convention du Conseil de l'Europe, dont la Suisse est membre).

Cela posé, il nous faut bien nous garder de sanctifier, et donc de mythifier, le droit international et la justice internationale : certes, si l'appareil juridique international de protection des droits humains permet de sanctionner des Etats, il ne dit rien des groupes d'Etats, des alliances, des organismes supranationaux, ni des entreprises multinationales, et ne prévoit rien pour les contraindre à respecter les droits fondamentaux, et moins encore pour les sanctionner s'ils les violent.
Quant à la Justice internationale, quand elle peut être saisie, elle ne l'est jamais que contre des vaincus ou des faibles : on juge les nazis après la défaite du IIIe Reich, Pétain et Laval après la Libération. Milosevic, Karadzic et Mladic après leur défaite, Hissène Habré après son renversement.
Et puis, il y a le problème que posent aux dispositifs de protection des droits humains des acteurs sociaux que ce dispositif ignore. D'entre eux, les multinationales, mais plus généralement, les entreprises et les institutions financières. Comment assurer les droits de leurs employés, de leurs clients, des consommateurs de leurs marchandises ? Comment, aussi, assurer les droits des citoyens face à des acteurs souvent plus puissants que la plupart des Etats ? Comment contraindre ces acteurs à user de leur pouvoir pour faire respecter des droits proclamés comme étant universels ?

Les juristes et les légistes font le droit, les parlements font les lois, l'Université fait la doctrine, les tribunaux font la jurisprudence, mais c'est terrain qui fait la réalité du Droit, et quand la quasi totalité des conflits actuels impliquent des groupes armés non-étatiques, négocier avec eux est le seul moyen de venir en aide aux populations civiles et de donner réalité à la proclamation des droits fondamentaux, à commencer par celui de vivre. Pour un enfant recruté comme enfant soldat, qu’est-ce que cela change d'avoir été recruté par un groupe armé non-étatique, une milice gouvernementale ou l'armée officielle ? Pour un enfant dont la jambe a été arrachée dans l'explosion d'une mine antipersonnel, qu'est-ce que cela change qu'elle ait été posée par l'armée de son pays, l'armée d'un autre pays ou un groupe armé révolutionnaire ? Qu’est-ce que cela change pour une femme violée, qu'elle l'ait été par la soldatesque d'un Etat ou celle d'un groupe armé non-étatique ?

Nous ne nous faisons donc pas d'illusions sur la capacité du droit international et de ses instruments judiciaires à faire respecter ces droits par des Etats ou des puissances économiques qui ont, délibérément, décidé de les violer. Mais nous tenons ces droits pour fondamentaux, et nous tenons donc pour inacceptable la volonté exprimée par l'UDC de renoncer à ce qu'ils puissent être invoqués devant un tribunal contre l'Etat qui les violerait, cet Etat fût-il la Suisse. Le droit international est le droit d'avoir des droits -un droit dont les Suisses eux-mêmes peuvent user lorsque leurs droits sont violés. Un droit dont l'UDC veut priver les Suisses...

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