Droit international : L'initiative udéciste donnée battue ? Méfiance est mère de sûreté


Les sondages donnent l'initiative udéciste pour le droit de la Suisse à s'asseoir sur le droit international largement battue dimanche prochain ? Méfiance... elle est tendance, l'initiative : un peu partout, les droits humains sont relégués au second plan de la raison du Pouvoir, quand ce n'est pas la raison de la tribu. Et puis, on a quand même un peu de mémoire : l'initiative contre l'"immigration de masse" aussi était donnée perdante devant le peuple. Qui le 9 février 2014 l'a acceptée. Le comité romand d'opposition à l'initiative udéciste "le droit suisse au lieu des juges étrangers" (un titre qui renvoie au bas moyen-âge...) y voit justement une initiative contre les droits humains. Et plus précisément, contre le texte européen (du Conseil de l'Europe) qui sur notre continent les garantit, et contre l'instance à laquelle celles et ceux qui estiment que leurs droits ont été violés par une décision de justice nationale peuvent faire appel. Ne nous démobilisons donc pas face à un nouveau texte udéciste encore plus pervers que les précédents. Méfiance est mère de sûreté, et mobilisation mère de confiance.

"On fait des voeux pour la république quand on n'en fait que pour soi-même" (Voltaire)


Ce qui est en jeu dans le vote de dimanche n'est pas la souveraineté de la Suisse -elle seule décide d'adhérer ou non à un traité, un accord ou un pacte internationaux. Elle le fait en fonction de ses propres intérêts (et de rapports de force entre Etats qu'aucune disposition constitutionnelle ne détermine). Ce qui en jeu, ce n'est donc pas sa souveraineté, mais la défense des droits fondamentaux de la personne humaine, et des droits sociaux et politiques collectifs, y compris (ou à commencer par) ceux des Suisses et des Suissesses (dont selon un sondage un-e sur deux ignore ce qu'est le droit international qui pourtant les protège) : ce sont elles et eux qui peuvent, parce que la Suisse a adhéré à une Convention du Conseil de l'Europe, et au Conseil de l'Europe lui-même, s'adresser à la Cour européenne des droits de l'Homme pour rétablir leurs droits lorsqu'ils sont bafoués par une juridiction suisse. Car cela arrive. Et cela, forcément, peut arriver, même aux udécistes : Le Conseiller national UDC Yves Nidegger, défenseur de l'initiative de son parti, fit ainsi annuler par le CEDH, au nom de la liberté d'expression, la décision de tribunaux suisses condamnant un négationnistes du génocide arménien.

La Suisse n'est d'ailleurs qu'assez rarement sanctionnée par la CEDH. Sur les 6918 requêtes déposées depuis l'adhésion en 1974 de la Suisse à la Convention et à la Cour européennes, contre des décisions rendues en Suisse, concernant surtout des violations alléguées du droit à la liberté, à la sécurité, à un procès équitable, à la liberté d'expression et au respect de la vie privée, seules 2,6 % ont été déclarées recevables, et 1,5 % ont abouti à des jugements défavorables aux tribunaux suisses. Ces décisions de la CEDH cassant des décisions de tribunaux suisses portent souvent sur des violations de procédure et du droit à un procès équitable), d'absence de base légale ou, dans le cas du renvoi de "criminels étrangers", de rupture des liens familiaux. Le recours à la CEDH a notamment permis d'abolir l'internement administratif en Suisse, de reconnaître les droits des victimes de l'amiante, de défendre la sphère privée des assurés (menacée par un projet que l'UDC soutient, qui est soumis au vote que le même jour que son initiative contre le droit international, et que nous refuserons du même bulletin).

Ce qui fonde la légitimité de la CEDH est sa capacité à défendre les droits des plus faibles, des moins bien défendus, des plus pauvres. Tenter de soustraire la Suisse à l'emprise du droit international sur le droit national, et donc au respect de la Convention européenne de sauvegarde des droits humains, c'est affaiblir la protection qu'elle accorde à celles et ceux que le droit suisse protège mal. Les syndicats rappellent ainsi que le droit suisse protège moins bien les droits syndicaux que l'exigent les conventions de l'OIT (même si elles sont sans force contraignante, puisque ne disposant pas, elles, de ces fameux "juges étrangers" qu'exècre l'UDC. Et que le droit d'association, le droit à l'information, l'égalité entre femmes et hommes, la protection de la maternité, le congé maternité, la protection de la vie privée, sont moins bien défendus par le droit suisse que ce que le droit international exigerait.

Enfin, il y a dans tout le discours apologétique des partisans de l'initiative l'omniprésence d'une mythification de la "souveraineté nationale" suisse. Non seulement la Suisse moderne a été littéralement accouchée par "l'étranger" (la France en 1798 et 1803, le Congrès de Vienne en 1815, qui imposa à la Suisse une neutralité qui finalement lui convint fort bien..-) mais elle n'a jamais adhéré à une instance internationale, conclu un traité ou un accord international, reconnu la compétence d'un tribunal international, que de sa propre volonté -soit celle du parlement, soit celle du peuple lui-même, ce qui nous permet de tenir pour parfaitement dérisoire le tocsin que tente de faire sonner Magdalena Martullo-Blocher, vice-présidente de l'UDC, dans la "Tribune de Genève" du 3 novembre : si l'initiative de l'UDC (elle en est vice-présidente) échoue dimanche, "la démocratie directe se meurt". Foutaise : tous les traités internationaux importants sont soumis au référendum facultatif, voire au référendum obligatoire s'ils modifient la constitution (qui ne peut être modifiée que par le peuple, l'initiative udéciste n'y étant strictement pour rien). Mieux (ou pire) : l'application de l'initiative impliquerait l'adaptation des traités signés par la Suisse, en cas de contradiction avec la constitution fédérale. Or cette adaptation, forcément négociée, dépendrait du bon vouloir des Etats étrangers impliqués dans les traités concernés. Et c'est ainsi qu'une initiative proclamant défendre la souveraineté et l'autodétermination de la Suisse aboutirait à l'affaiblir...

Il est vrai qu"on fait des voeux pour la république quand on n'en fait que pour soi-même" (Voltaire). L'UDC fait mine de s'alarmer du sort de la souveraineté de la Suisse et de sa démocratie directe quand elle ne s'alarme que de l'affaiblissement de sa capacité à "donner le ton" du débat politique. Dimanche, on ne votera pas sur l'autodétermination de la Suisse, mais sur la détermination de la Suisse par l'UDC. Ce pays vaut tout de même mieux.

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